Repenser la Nation. L’histoire du suffrage féminin au Québec – Denyse Baillargeon

Cet ouvrage de synthèse historique, rédigé par Denyse Baillargeon, historienne et professeure émérite à l’Université de Montréal, a pour objet central d’expliquer « le parcours particulier des Québécoises[1] », qui ont passé de pionnières en matière de suffrage au Canada (1791 à 1849) à dernière à obtenir le droit de vote en 1940. En s’appuyant sur les travaux d’historiennes et de politologues, notamment, Baillargeon démontre que c’est en raison de l’Acte constitutionnelle de 1791, qui « ne tient pas compte des particularités des régimes matrimoniaux en vigueur dans la seule colonie britannique en Amérique du Nord où prévaut le droit civil français que des femmes peuvent se présenter aux urnes[2] ». Dans ce contexte précis, écrit-elle :

la propriété constitue le signe que l’individu possède les qualités nécessaires à la libre expression de sa volonté politique. En conséquence, et tout comme en Angleterre, l’Acte constitutionnel confère le droit de voter aux sujets britanniques âgés de 21 ans et plus, propriétaires d’une terre ou d’un immeuble d’une certaine valeur et aux locataires payant un loyer annuel minimal. Plus encore, le texte de la loi accordant le droit de suffrage aux « personnes » satisfaisant à ces exigences, sans spécification quant à leur sexe, plusieurs femmes propriétaires – des veuves pour la plupart, mais aussi des célibataires majeures et des femmes mariées en séparation de biens ou vivant séparées de leur mari –, se prévaudront de ce droit durant la première moitié du XIXe siècle, ce qui fait du Bas-Canada un cas à part dans les annales du suffrage féminin au Canada[3].

Entre 1791 et 1849, des femmes de toutes les couches socio-professionnelles useront de leur droit de vote (journalières, ouvrières, modistes, couturières, marchandes publiques, etc.[4]). Avec la montée des élites masculines nationalistes et libérales canadiennes-françaises dans les premières décennies du XIXe siècle, l’opposition au vote des femmes commence à se manifester dans le Bas-Canada. Bien que les contestations aient concrètement débutées vers 1827, c’est autour de l’élection partielle de 1832 dans Montréal-Ouest, durant laquelle s’affrontent Stanley Bagg, le candidat Tory, et Daniel Tracey, du Parti patriote, que l’opposition au droit de vote des femmes devient criante[5]. La participation des femmes anglophones étant plus nombreuse en dépit du fait qu’elles sont minoritaires démographiquement, concorde avec la victoire de l’élection du candidat Tory, et ce, par seulement quatre voix (105 votes féminins anglophones versus 93 féminins francophones). Influencé par le discours républicain, les écrits de Jean-Jacques Rousseau sur la maternité, l’idéologie des sphères séparées et la conception masculine de la citoyenneté, les élites masculines du Canada-français votent en Chambre une série de lois visant le retrait du droit de vote aux femmes. Elles perdront officiellement ce droit en 1849[6].

Durant la Première Guerre mondiale et les années qui suivent, les provinces anglophones du Canada, les États-Unis et la Grande-Bretagne accordent le droit de voter à la majorité des femmes[7]. Un droit qui était déjà acquis par les femmes de la Nouvelle-Zélande, de certains États américains et australiens avant le début du XXe siècle. Les Québécoises, quant à elle, obtiennent ce droit seulement en 1940 grâce à des militantes suffragistes comme Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain. Il existe donc un « décalage temporel entre le Québec et le Canada » qui est causé par « le profond conservatisme de la société québécoise » ainsi que « les convictions nationalistes d’une bonne partie des élites masculines[8] ». Les députés québécois, écrit Baillargeon, « se sont opposés avec la dernière énergie, et parfois avec la plus grande brutalité au suffrage féminin[9] » et aux suffragistes québécoises. 


[1] Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L’histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, Les éditions du Remue-Ménage, 2019, p. 10. 

[2] Ibid., p. 25. 

[3] Ibid., p. 26-27. 

[4] Ibid., p. 30. 

[5] Ibid., p. 33. 

[6] Ibid., p. 39-40. 

[7] Ibid., p. 9. 

[8] Ibid., p. 12-13.

[9] Ibid., p. 9.

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