Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, (1838-1971) – Gérard Bouchard

Dans cet essai d’histoire sociale, l’historien et sociologue Gérard Bouchard analyse minutieusement et sous une multitude d’angles la société rurale Saguenayenne. L’étude « vise à rendre compte des modalités du peuplement et des formes collectives plus ou moins spécifiques qui lui furent associées, à la fois comme matrices et comme résultantes d’une dynamique complexe où l’environnement physique a joué un rôle à certains égards déterminant. L’objectif est poursuivi à partir d’un angle, d’une direction privilégiée qui est celle de la reproduction familiale, considérée dans ses antécédents et ses aboutissements[1] ». Ainsi, les objets étudiés sont de l’ordre de la démographie, du territoire, de l’agriculture, de l’économie rurale, de la société paysanne, des relations sociales, de la reproduction familiale, surtout, et de la culture. Les données du projet BALSAC, les nombreux recensements canadiens, les journaux, les archives orales et les actes notariés sont les sources mobilisées dans cette vaste recherche. 

Dans une première partie, Bouchard établit la genèse de l’expérience saguenayenne. Nourri d’abord par une immigration en provenance de Charlevoix et du Bas-Saint-Laurent et par un vigoureux accroissement naturel, l’accès à la terre, les possibilités de l’industrie forestière ainsi que le clergé ont été les principaux incitatifs de cette colonisation[2]. La population saguenayenne est caractérisé au XIXe siècle par une « grande homogénéité culturelle[3] » : 95% d’entre eux sont francophones et catholiques. Jusqu’en 1887, année qui correspond à l’arrivée du chemin de fer, la région est isolée et les contacts avec l’économie extrarégionales sont rares[4]. L’autosubsistance est l’une des caractéristiques centrales de l’économie rurale saguenayenne durant cette période. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, toutefois, la production de blé chute drastiquement et l’industrie laitière s’impose tranquillement. L’histoire de l’agriculture saguenayenne entre 1880 et 1950, selon Bouchard, est celle d’une « lente et difficile conversion au capitalisme agraire[5] ». Les habitants se sont montrés réticents puisqu’au-delà d’un certain seuil, « la spécialisation et la commercialisation de l’agriculture mettaient en péril des pratiques de travail, des objectifs socioéconomiques ainsi qu’un mode de vie réfractaires au système capitaliste et aux formes sociales et culturelles qui lui étaient associées[6] ». L’économie paysanne saguenayenne obéissait à une autre logique que celle du modèle capitaliste : celui de la co-intégration. Tout en étant en relation constante avec l’économie capitaliste, la population n’en épouse toutefois pas les objectifs et ne se convertie pas à ses règles, mais elle en tire plutôt avantage pour assurer sa propre reproduction à l’identique[7].

Dans une deuxième partie, Gérard Bouchard étudie dans les moindres détails la question de la reproduction familiale. Y sont traités les paramètres démographiques et le « fardeau familial[8] », les objectifs et règles de transmission, les modalités d’établissement, les tendances égalitaires, le pluriétablissement, l’exploitation paysanne et le rapport à la terre. La démonstration atteste que les pratiques d’expansion commandée par la reproduction familiale ne favorisent pas l’accumulation d’un capital paysan, que l’orientation socioéconomique des familles saguenayennes est axée sur une rationalité de reproduction davantage que de production et que la famille paysanne avait pour principale logique de fabriquer des clones d’elle-même[9].  

La troisième partie est quant à elle destinée à la question du rôle et de l’impact du « système ouvert » dans la transmission du patrimoine et l’établissement des familles d’un point de vue intergénérationnelle. Bouchard écrit que : 

La société paysanne canadienne des XVIIe et XVIIIe siècles différait assurément de la paysannerie saguenayenne des XIXe et XXe siècles. On peut se référer ici à de nombreux traits contextuels et culturels, à l’environnement institutionnel (la seigneurie), au cadre juridique (la Coutume de Paris), à des éléments de traditions peut être hérités des régions de l’Ouest et du Centre de la France. Mais si l’on porte un regard plus horizontal sur cette paysannerie, plus précisément sur le fonctionnement du groupe familial et les processus concrets de sa reproduction dans l’espace, les similitudes sont frappantes : dans le régime démographique, dans le rapport à la terre tel qu’il était effectivement pratiqué (par opposition à ses définitions formelles), dans les stratégies d’expansion et d’établissement, dans les rapports et les formes sociales qui en dérivaient[10].

Au final, Bouchard démontre bien que le système de reproduction familial saguenayen, à l’instar de celui observé pour la vallée du Saint-Laurent, était basé sur le fait que « les parents cherchaient aussi bien à établir un maximum d’enfants qu’à protéger l’intégrité du patrimoine, tout en assurant la sécurité de leur vieillesse[11] ».


[1] Gérard Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, (1838-1971). Montréal, Boréal, p. 8. 

[2] Ibid., p. 25. 

[3] Ibid., p. 33. 

[4] Ibid., p. 60. 

[5] Ibid., p. 83. 

[6] Ibid., p. 98. 

[7] Ibid., p. 134-135. 

[8] Ibid., p. 196. 

[9] Ibid., p. 233-235. 

[10] Ibid., p. 338. 

[11] Ibid., p. 333. 

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