Une élite en déroute. Les militaires canadiens après la Conquête – Roch Legault

Le professeur d’histoire militaire canadienne au collège militaire royale de Saint-Jean, Roch Legault, propose dans cet ouvrage une analyse de l’évolution des conditions de l’élite militaire canadienne, plus précisément des officiers de carrière, dans les décennies qui suivent la Conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques. Puisque l’un des fils conducteurs de la recherche est de mettre en évidence la vocation militaire des sujets, l’historien a retenu dans son corpus vingt-deux familles « dont les individus ou les pères de ces derniers pratiquaient déjà le métier des armes sous le Régime français[1] ». Par conséquent, Legault observe l’impact qu’a eu le changement de régime sur ces familles. 

Au total, seulement quatre chapitres composent l’ouvrage. Le premier chapitre traite d’un « univers qui s’écroule » et de « carrières militaires interrompues ». Nous pouvons y lire sur les conséquences associées à la capitulation de la Nouvelle-France pour les officiers canadiens des troupes franches de la Marine[2]. La majorité ayant quitté le Canada au début des années 1760, ils ont toutefois rapidement constaté que les possibilités d’emploi militaires étaient pratiquement inexistantes pour les officiers dans l’Empire français à ce moment. Ainsi, la plupart ont « risquer un retour au Canada, devenu britannique, et [se sont rabattus] sur des emplois de fortune dans le métier des armes[3] ». Le second chapitre, quant à lui, est très descriptif. Il offre un portrait exhaustif des différentes organisations militaires qui ont œuvré des débuts de la Nouvelle-France jusqu’aux quinze premières années du XIXe siècle : les troupes de la Marine sous le régime français[4], les différents corps et figures d’autorités de l’armée britannique – « Le Commander-in-Chief, le Master General of Ordonnace, le Secretary of Treasury et quelquefois même le premier ministre s’occupent de l’administration de l’armée et des guerres qu’elle entreprend[5] » –, les corps militaires loyalistes ainsi que la milice canadienne[6]. 

Le troisième chapitre aborde le parcours de cinq familles canadiennes qui ont continué d’occuper des postes dans l’armée régulière au service des Britanniques au lendemain de la Conquête : les Juchereau Duchesnay, Saint-Ours, d’Estimauville, Vassal de Monviel et d’Irumberry de Salaberry[7]. Dans ce chapitre, Legault démontre qu’il « existe peu de carrières militaires véritables chez les membres de l’ancienne élite militaire de la Nouvelle-France après 1760[9] ».

Bien qu’elle prenne l’apparence d’une récompense après la révolution américaine, écrit l’historien, l’entrée des Canadiens dans le corps d’officiers britanniques sera soumise à de nombreux aléas. Ignorants des structures, des traditions, des règlements informels, la plupart ne connaissent pas de patronage comme les Salaberry pour faciliter leur avancement. Ils sont en butte à des règlements rigides forgés pour éliminer du pouvoir les sujets catholiques. Les achats de commissions établissent une disparité qui favorise les officiers métropolitains. Même les régiments destinés aux coloniaux (le 60e régiment et les Voltigeurs) n’échappent pas à cette pratique. Enfin, la contrainte de quitter la colonie érode l’enthousiasme des recrues avec le temps, accentue le phénomène d’acculturation, hypothèque les bourses et promet une plus grande exposition au danger[9].

Le quatrième et dernier chapitre, pour sa part, traite de l’évolution des familles lorsqu’un de leurs membres se manifeste dans l’un des événements militaires marquants de cette période au Canada : la guerre d’indépendance américaine et celle de 1812-14 notamment. Ce chapitre, combiné aux démonstrations générales de l’ouvrage, atteste bien que les opportunités pour les membres de l’élite canadienne dans le domaine militaire après la Conquête étaient assez limitées. « L’absence de structure, de concert avec les réticences de la population canadienne à guerroyer, forment une partie du décor (certes quelque peu modifié avec les ans, mais qui demeurera solidement en place jusqu’en 1815) dans lequel s’empêtrent les carrières militaires du groupe des anciens officiers français au Canada sous le Régime britannique[10] ».


[1] Roch Legault, Une élite en déroute. Les militaires canadiens après la Conquête, Outemont, Athena, 2020, p. 10-12.

[2] Ibid., p. 18.

[3] Ibid., p. 14.

[4] Ibid., p. 34-48. 

[5] Ibid., p. 52. 

[6] Ibid., p. 60-73.

[7] Ibid., p. 75. 

[8] Ibid.

[9] Ibid., p. 108-109. 

[10] Ibid., p. 154.

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