La noblesse de la Nouvelle-France. Familles et alliances – Lorraine Gadoury

La noblesse de la Nouvelle-France est un ouvrage tiré de la thèse de doctorat de Lorraine Gadoury. Il s’agit à la fois d’une étude sur le comportement démographique des nobles canadiens durant les XVIIe et XVIIIe siècles qu’une histoire sociale visant à comprendre les comportements de ce groupe (célibat, mariage, alliances matrimoniales, etc.). Dans cette étude, Gadoury tente de « révéler la “cohérence” de la noblesse en tant que groupe, par la réponse à l’interrogation suivante: les nobles de la colonie avaient-ils un type caractéristique d’agissements, une façon spéciale et bien à eux d’envisager les problèmes du mariage, de la vie et de la mort, qui les distingueraient du reste de la population de la Nouvelle-France, tout en les rapprochant, peut-être, des autres élites européennes?[1] ». À partir de lettres de noblesses enregistrées, d’actes notariés, mais surtout d’informations récoltées dans le Dictionnaire biographique du Canada, les différents dictionnaires de noblesses (Lejeune, de la noblesse, etc.) et des écrits de Pierre-George Roy, l’historienne parvient à identifier pour son corpus 11 individus anoblis ainsi que 170 immigrants nobles entre 1636 et 1760[2]. En Nouvelle-France, comparativement au nombre total d’immigrants durant la période, les nobles représenteraient moins de 2% de la population[3]. 

Au total, ce sont deux parties qui composent l’ouvrage. La première consiste principalement à définir le groupe et les contextes changeants dans lesquels il évolue. Par exemple, Gadoury démontre bien que dans les débuts de la période coloniale en Nouvelle-France, la Cour de France et les autorités coloniales avaient une « attitude accueillante […] envers la noblesse canadienne ce qui a permis la venue d’un bon nombre de nobles au pays, l’anoblissement de plusieurs Canadiens et aussi, peut-on présumer, l’entrée dans le groupe de non-nobles en route vers la noblesse et qui ne furent jamais inquiétés dans leur nouvel état[4] ». Elle précise toutefois que cette attitude accueillante change après 1680 : « la Cour, par l’intermédiaire du gouverneur et de l’intendant, apprend l’oisiveté et la pauvreté des familles nobles et décide de restreindre l’accès à la noblesse. Plus que quelques rares anoblissements qui doivent être mérités et surtout soutenus par la bonne situation financière des candidats, et une immigration noble qui se limite dès lors presque exclusivement aux officiers militaires, dont l’utilité ne fait pas de doute[5] ». L’une des démonstrations importantes de l’ouvrage est qu’en Nouvelle-France, malgré les quelques exemples d’ascensions sociales qui ont mené à un anoblissement, c’est l’ancien idéal militaire qui a été dominant. Gadoury démontre que sur les 170 nobles qui immigrent dans la colonie, 126 le sont en tant qu’officiers ou soldats des troupes et « leurs descendants ainsi que ceux des autres immigrants nobles s’insèrent aussi dans l’armée[6] ». Par conséquent, la noblesse canadienne sous le régime français était très majoritairement militaire. Dans les termes classiques, c’est ce que nous appelons une noblesse d’épée. 

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Gadoury observe les comportements démographiques et les mécanismes d’alliances des nobles canadiens. Elle démontre, par exemple, que sur les plans du célibat et du mariage, la noblesse canadienne se comporte différemment du reste de la population qui l’entoure. Elle écrit qu’« en moyenne, sur l’ensemble de la période, on retrouve en son sein deux fois plus d’hommes célibataires, ainsi que trois fois plus de femmes. De plus, les hommes nobles se marient de deux à cinq ans plus tard que les autres célibataires canadiens[7] ». Plusieurs facteurs expliquent cette situation : les jeunes hommes choisissent souvent la carrière militaire – surmortalité –, plusieurs émigrent vers les colonies françaises ou la Métropole – opportunités de carrière dans l’armée –, il y a un manque de conjoints et de conjointes potentiels sur le territoire – mariage homogamique – et les jeunes filles entrent régulièrement dans les communautés religieuses – célibat –[8]. Ainsi, l’âge tardif au mariage et le taux de célibat élevé chez les nobles a entraîné chez ce groupe au début du XVIIIe siècle une « crise de la nuptialité[9] ».

Quant aux alliances matrimoniales, Gadoury démontre que les membres de la noblesse canadienne subissent de multiples pressions de la part de leurs familles et de l’État « afin que leurs conjoints et surtout leurs conjointes proviennent de familles “distinguées” et “ayant du bien”[10] ». Selon Gadoury, « la grande majorité des unions nobles sont contractées dans un cercle assez restreint de la population canadienne: la noblesse elle-même fournit 50% des femmes et 60% des maris, alors que de 90 à 95% des conjoints roturiers proviennent quant à eux du monde marchand et de l’élite coloniale non-noble, formée d’individus occupant des postes de prestige et de pouvoir[11] ».

Enfin, toutes ses démonstrations effectuées par l’historienne tendent à répondre à son questionnement initial : les nobles canadiens forment bel et bien un groupe « cohérent » de la population canadienne. Ils se distinguent de ceux qui l’entourent par leurs choix et leurs attitudes face au mariage et à la famille, et même par leur manière d’être touché par la mort – mortalité plus faible –[12]. 


[1] Lorraine Gadoury, La noblesse en Nouvelle-France. Familles et alliances, Montréal, Hurtubise HMH, 1992, p.3.

[2] Ibid., p. 21. 

[3] Ibid.

[4] Ibid., p. 37.

[5] Ibid.

[6] Ibid., p. 51.

[7] Ibid., p. 85. 

[8] Ibid., p. 85-86. 

[9] Ibid., p. 86.

[10] Ibid., p. 110.

[11] Ibid.

[12] Ibid., p. 149.

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