Cet ouvrage d’histoire culturelle de Damien-Claude Bélanger, professeur d’histoire agrégé à l’Université d’Ottawa, a pour objectif de faire connaître le parcours et l’œuvre de Thomas Chapais, « un des premiers véritables historiens du Québec[1] ». En regroupant les discours politiques, les conférences ainsi que les ouvrages historiques de ce dernier[2], Bélanger permet à nos contemporains de redécouvrir l’œuvre, éclipsé par celle de l’abbé Lionel Groulx, de cet historien canadien-français influent à son époque.
Davantage qu’une biographie traditionnelle énumérant les événements marquants de la vie de l’individu sous la forme d’un récit chronologique, cette étude permet de saisir la formation de la conscience historique de Thomas Chapais ainsi que le contexte socioculturel dans lequel a germé sa pensée[3]. Membre de l’élite canadienne, Chapais est issu d’une lignée bourgeoise et conservatrice[4]. Bélanger démontre que la pensée politique et historique de Thomas Chapais reflète ses origines socioculturelles. Chapais « aborde l’histoire non seulement en catholique, mais aussi en bourgeois. Ses perspectives et ses engagements historiographiques ont été façonnés par son éducation et son programme de lecture ainsi que par l’antagonisme entre libéraux et ultramontains qui a marqué sa jeunesse[5] ».
De manière générale, Chapais compose une histoire au service du conservatisme, de la tradition et de l’élite[6]. C’est un historien du politique. Tant dans sa vie que dans ses œuvres, ce dernier est étroitement associé au loyalisme – « doctrine basée sur la fidélité à la Couronne britannique, doctrine qui émerge après 1760 dans la vallée du Saint-Laurent et qui répond, d’abord et avant tout, à des préoccupations canadiennes-françaises[7] » – et au traditionalisme canadien-français. Thomas Chapais est le « premier historien à prétendre que la Conquête est le résultat d’un décret providentiel[8] ». Il prône l’étapisme, soit le fait que l’évolution providentielle de la société canadienne-française doit se réaliser en différentes étapes. Dans le discours historique de Thomas Chapais, la Conquête, qui a apporté avec elle son lot d’inconvénients, aurait toutefois mené à la Confédération qui, elle, vient « réparer les torts causés par la Conquête[9] ». « Avec la Confédération, le triptyque chapaisien est complet; les Canadiens français jouissent désormais de la liberté religieuse, de la liberté politique et de l’autonomie nationale. Le récit historique de sir Thomas sacralise la Confédération, cette œuvre à laquelle ont concouru son père et son beau-père et qui constitue l’aboutissement de nos luttes nationales[10] ». Bélanger démontre bien que le récit historique de Chapais est un récit téléologique; tout tend vers la Confédération, elle serait l’« aboutissement de nos luttes nationales[11] ».
Cette position idéologique de Thomas Chapais est centrale dans la compréhension du personnage. C’est la raison pour laquelle son œuvre n’a pas connu les mêmes échos que celle de Lionel Groulx, en dépit d’une qualité méthodologique digne de mention. Cette œuvre, à une époque de recrudescence du mouvement nationaliste canadien-français – Henri Bourassa, crise de la conscription, Lionel Groulx, etc. – a été le « repoussoir[12] » des nationalistes durant le deuxième quart du XXe siècle. À cette époque, les thèses loyalistes sont de plus en plus critiquées et le public canadien-français est de moins en moins réceptif à ce type de discours. À partir des années 1920, l’œuvre de Chapais sera constamment comparée à celle de l’abbé Lionel Groulx. « Leurs travaux sont présentés comme des antithèses, et l’analyse que font la plupart des observateurs des livres de Chapais sert à montrer le caractère novateur, objectif ou correct de l’œuvre groulxienne. Bref, on dénigre Chapais pour louanger Groulx. Parfois, c’est l’inverse qui se produit, mais d’une façon ou d’une autre, l’œuvre chapaisienne n’existe que par rapport à celle de Groulx[13] ». Enfin, de manière générale, Bélanger nous fait comprendre que :
L’influence et la réception critique de l’œuvre de Chapais suivent l’évolution de la culture intellectuelle du Québec et du Canada français. Chapais est l’historien le plus en vue au Canada français à l’aube de la Première Guerre mondiale, mais son œuvre sera de plus en plus critiquée durant l’entre-deux-guerres et servira notamment de repoussoir à l’abbé Groulx. À partir des années 1960, les travaux de Chapais sont doublement démodés. Le loyalisme s’efface progressivement durant les années qui suivront la crise de la conscription, et les idées conservatrices seront prises à partie durant la Révolution tranquille. Plus tard, dans les années 1970 et 1980, l’évolution de la discipline condamnera Chapais plus ou moins à l’oubli[14].
Le présent livre, à sa manière, est une contribution qui va à l’encontre de cette tendance puisqu’elle nous permet de comprendre les principales composantes de l’œuvre de Thomas Chapais tout en reflétant l’influence qu’il avait à son époque.
[1] Damien-Claude Bélanger, Thomas Chapais, historien. Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2018, p. 133.
[2] Ibid., p. 18.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 3.
[5] Ibid., p. 67.
[6] Ibid., p. 134.
[7] Ibid., p. 9.
[8] Ibid., p. 29.
[9] Ibid., p. 89.
[10] Ibid., p. 123.
[11] Ibid., p. 124.
[12] Ibid., p. 151.
[13] Ibid., p. 164.
[14] Ibid., p. 197.
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