Le monde rural Québécois aux XVIIIe et XIXe siècles. Cultures, hiérarchies, pouvoirs – Christian Dessureault

Cet ouvrage regroupe les publications les plus notoires de l’historien Christian Dessureault, professeur au département d’histoire de l’Université de Montréal, qui ont permis de redéfinir notre compréhension sur les fondements de la société rurale québécoise des XVIIIe et XIXe siècles. À partir d’une méthodologie renouvelée, ce dernier a contribué « au développement d’un véritable programme d’histoire social qui s’inspire de l’école des Annales dans sa volonté d’analyser les structures sociales[1] ». Dessureault mobilise les sources traditionnelles de l’histoire sociale – registres paroissiaux, archives notariales, recensements, archives judiciaires et inventaires après-décès – sous de nouveaux angles dans les études qui se trouvent dans ce livre. D’ailleurs, celles-ci reflètent et résument l’œuvre de sa carrière, qui peut être divisée en deux grandes phases. La première « a été consacrée à déconstruire l’idée d’une société québécoise préindustrielle “repliée sur elle-même et réfractaire aux changements”[2] ». Dans cette phase, c’est la démonstration des inégalités sociales qui a offert à Dessureault « un argument puissant contre le schématisme des interprétations antérieures qu’il s’agisse de la “crise agricole” qui aurait plongé la seule société bas-canadienne dans un marasme singulier ou de la “modernisation” qui, de façon bien révisionniste, mettait ce même Bas-Canada au diapason du progrès des autres sociétés occidentales[3] ». Quant à la seconde phase de son parcours, elle est « marquée par l’étude des mécanismes fins qui régissent la reproduction sociale[4] ».

Sans entrer dans les nombreux détails des douze études regroupées dans cet ouvrage, les grandes conclusions que nous pouvons retenir sont les suivantes. En ce qui concerne les fondements socio-économiques des sociétés rurales – familles, infrastructures industrielles, production et régime seigneurial –, Dessureault a démontré que l’exploitation familiale, cellule de base de la société rurale québécoise, est « une unité de production et de consommation qui assume elle-même sa propre reproduction[5] »; que les divers types de moulins, et surtout les moulins à farine, représentent « la composante principale de l’infrastructure industrielle des campagnes[6] »; que l’augmentation de la production et de la productivité dans les campagnes au XIXe siècle est principalement causée par la « mécanisation[7] »; que la seigneurie est une « institution qui pèse sur le développement intégral du territoire en permettant le transfert de surplus économiques importants à l’extérieur de la région de colonisation[8] » et qu’elle est, n’en déplaise à Marcel Trudel, « une entreprise de type féodal[9] ». Le séminaire de Montréal, dans sa seigneurie du Lac-des-Deux-Montagne, réalise la plus grande partie de ses revenus sans intervenir dans le processus de production et « le propre du féodalisme, au sens de mode de production, écrit Dessureault, est que la plupart des surplus économiques sont drainés par une classe privilégiée en raison de son seul droit juridique sur la terre[10] ». Le régime seigneurial connaît également, après la Conquête, un « durcissement » caractérisé par la « hausse des rentes annuelles, dans l’alourdissement et la multiplication des autres charges inscrites dans les contrats de concession, dans l’application rigide des droits et des privilèges des seigneurs et, enfin, dans l’emploi par les seigneurs de pratiques spéculatives sur les terres neuves[11] ».

Quant à la question de la « reproduction sociale dans la différence[12] », les recherches de Dessureault nous ont permis de comprendre que « l’égalitarisme paysan dans l’ancienne société rurale de la vallée du Saint-Laurent est en grande partie un mythe frontiériste[13] » puisque « la paysannerie canadienne ne forme pas une masse indistincte relativement égalitaire et tissée serrée; elle constitue, au contraire, un groupe hétérogène[14] ». Les paysans se distinguent par leurs niveaux de fortune ainsi que par leurs rapports à la production. Ainsi, selon Dessureault, « la stratification classique, par groupe socio-professionnel, résiste mal à cette hiérarchie interne de la paysannerie[15] ». Qui plus est, la société rurale québécoise n’aurait connu ni « crise » ni « modernisation » au début du XIXe siècle : « Globalement, la société rurale maskoutaine est au rendez-vous de la croissance économique durant le premier tiers du XIXe siècle. Mais ce type de développement renforce les inégalités économiques et sociales, d’autant plus que les mécanismes traditionnels de la reproduction sociale de la paysannerie sont désormais perturbés par l’amorce d’un blocage agraire. Enfin, la notabilité rurale est apparemment le premier bénéficiaire des transformations des campagnes. Au cours de cette période, elle accroit sa fortune, son pouvoir et son prestige au sein des communautés rurales[16] ».

Enfin, le travail de Christian Dessureault a également fourni des pistes réflectives et des démonstrations sur les élites, les institutions ainsi que les différentes manifestations du pouvoir dans le monde rural québécois des XVIIIe et XIXe siècles. Il a démontré que « la milice constitue un lieu de collaboration entre le pouvoir colonial et les élites bas-canadiennes[17] »; que le statut social, le niveau de richesse et les rapports de parenté sont des facteurs d’accès aux postes prestigieux – officiers de milice[18] – ainsi qu’au Conseil de la fabrique[19]. De manière générale, cet excellent livre couvre une multitude de sujets qui reflètent parfaitement les spécialités de Christian Dessureault : régime seigneurial, économie rurale, vie matérielle des paysans, structures sociales, familiales et réseaux de parenté dans le monde rural québécois des XVIIIe et XIXe siècles.


[1] Christian Dessureault, Le monde rural Québécois aux XVIIIe et XIXe siècles. Cultures, hiérarchies, pouvoirs, Montréal, Fides, 2018, p. 15. 

[2] Ibid., p. 18-19.

[3] Ibid., p. 19. 

[4] Ibid.

[5] Ibid., p. 116. 

[6] Ibid., p. 60. 

[7] Ibid., p. 132-133. 

[8] Ibid., p. 55. 

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid., p. 137. 

[12] Ibid., p. 158. 

[13] Ibid., p. 197.

[14] Ibid., p. 163.

[15] Ibid., p. 197.

[16] Ibid., p. 229. 

[17] Ibid., p. 306. 

[18] Ibid., p. 329. 

[19] Ibid., p. 363.

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