Le professeur émérite à la Newfoundland and Labrador’s University (MUN) et professeur-associé à l’Université de Québec à Montréal (UQAM), Robert Sweeny, traite dans cet ouvrage du passage de la ville de Montréal, et dans une perspective plus large celui du Bas-Canada, d’une société d’Ancien Régime vers une société capitaliste, libérale et industrielle entre les années 1819 et 1849. À l’aide des sources traditionnelles de l’histoire sociale, telles que des actes notariés, recensements, plans de rues, annuaires ainsi que des cartes – Viger, Cane et Doige –, l’historien contribue à l’historiographie canadienne sur l’urbanisation, la transition vers le capitalisme et l’industrialisation. Toutefois, il est important de préciser que Why Did We Choose to Industrialize n’est pas, à l’instar des monographies qui sont courantes dans les milieux universitaires, une publication académique conventionnelle. Il s’agit d’un témoignage à la première personne rédigé sous forme d’essai. Celui de sa propre trajectoire en tant qu’historien et chercheur dans les archives. Un témoignage plein d’humilité qui met en lumière quatre décennies de recherches, de problèmes rencontrés, d’erreurs méthodologiques effectués, de présentisme, de solutions et de réflexions épistémologiques sur les transformations idéologiques qui s’insèrent dans le monde académique – le néolibéralisme étant l’exemple le plus récent –[1].
D’emblée, un constat ressort de cette lecture : Sweeny invite les praticiens de l’histoire à porter une attention particulière à la manière dont ceux-ci analysent leurs sources. Il réitère l’important de se concentrer sur le « spécifique[2] » et, surtout, sur les hypothèses et les aspirations des contemporains qui les ont créés. « By choosing to focus on sources, écrit-il, I unwittingly broke disciplinary conventions. After all, historians are far more interested in the evidence a source contains than in the source itself. How we treat evidence is an important methodological question in history, but because I started with sources, I came at this question from a quite different angle – indeed, so different, that I soon realized it was an epistemological, not a methodological, question. It was not about what we do; it was about how we know[3] ».
D’ailleurs, cette réflexion épistémologique se ressent tout au long du livre. Les conclusions et interprétations mises de l’avant par Sweeny en rapport au contenu présent dans ses sources sont absolument remarquables : il parvient à déconstruire complètement la théorie des Staples de Harold Innis[4]; il rejette l’approche essentialiste comme grille d’analyse qui est intrinsèquement liée à des stéréotypes ethniques dans l’interprétation des données[5]; il démontre comment les crises économiques, en particulier celle de 1825, ont permis l’établissement des banques[6]; il démontre que la « culture de la production » était bien présente dans le monde préindustriel et qu’elle n’est pas apparue soudainement avec l’industrialisation – persistance d’un marché artisanal local – [7]; il examine les relations entre la ville et la campagne, les processus de changement social et la tension entre les partisans d’une « économie morale » et d’une « économie libérale »[8]; il déploie une analyse spatiale remarquable et remet en question l’idée d’une ségrégation urbaine durant les années étudiées – les femmes, par exemple, étaient nombreuses à être propriétaires durant la décennie 1820 contrairement aux années 1880[9] – ; il explique le changement d’attitude face à la propriété, qui devient un capital d’investissement, après les années 1840 [10] ; enfin, l’étude de Sweeny atteste bel et bien que « Montreal was the first colonial town in the world to industrialize[11] ».
[1] Robert Sweeny, Why Did We Choose to Industrialize? Montreal, 1819-1849, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, p. 5-9.
[2] Ibid., p. 4.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 51.
[5] Ibid., p. 61.
[6] Ibid., p. 70.
[7] Ibid., p. 80.
[8] Ibid., p. 104-135.
[9] Ibid., p. 265.
[10] Ibid., p. 245-246; 266.
[11] Ibid., p. 286.
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