Les Canadiens après la Conquête, 1759-1775 – Michel Brunet

L’historien Michel Brunet (1917-1985), reconnu comme l’une des figures de proue de « l’École de Montréal », offre dans cet essai historique une interprétation nationaliste, voire militantiste, des années qui suivent la Conquête. À partir de témoignages d’époque, surtout ceux des autorités religieuses, militaires et civiles, et des documents officiels tels que les Proclamations, Brunet brosse un portrait des principales composantes politiques, économiques, religieuses et sociales qui caractérisaient la vie des Canadiens entre 1759 et 1775. La position de l’auteur se ressent, tout au long de l’ouvrage, par l’entremise d’un lexique très révélateur. Brunet évoque une « désintégration totale[1] » de la société, une « décapitation sociale[2] », des « conséquences désastreuses[3] », la « déchéance des dirigeants canadiens[4] », des répercussions « fatales[5] », un « cauchemar[6] » et ainsi de suite. Le portrait qu’il dresse des années qui suivent la Conquête est largement négatif. Il écrit même que « quelques âmes naïves croient encore que les Canadiens français ont reçu la liberté dans les fourgons de l’ennemi[7] ». Cette vision de la « liberté et la sécurité » apportées par les conquérants au XVIIIe siècle toucherait encore, selon lui, les historiens du Canada qui ne seraient pas en mesure de se « débarrasser » de ces « mythes issus de la propagande des conquérants britanniques[8] ».

En dépit de cette forte rhétorique, plusieurs informations pertinentes sont présentes dans l’ouvrage. Par exemple, les relations entre l’évêque de la colonie, Mgr Pontbriand, et les premiers gouverneurs, Murray et Carleton, sont minutieusement présentées. Ou encore, Brunet fait une démonstration tout à fait juste quant à la montée du pouvoir de l’Église sur la population canadienne directement après la Conquête. Il démontre habilement comment la religion est devenue pour l’ensemble des Canadiens après la Conquête un point de ralliement, « une ligne de défense[9] ». Puisque ceux-ci étaient privés d’un gouvernement civil à leur service comme groupe ethnique distinct, qu’ils étaient incapables de s’appuyer sur une élite de laïcs entièrement libres, à l’intérieur d’institutions sous leur autorité exclusive, « les Canadiens développèrent un attachement d’une nature très particulière envers l’Église, le clergé et l’organisation ecclésiastique[10] ». Cet attachement s’est manifesté sous la forme d’une « union » à caractère politique, économique et sociale. « Dans de telles circonstances, écrit Brunet, la défense du catholicisme et l’indépendance de l’Église constituèrent nécessairement les tout premiers objectifs du nationalisme canadien-français immédiatement après la Conquête[11] ».

Enfin, d’autres éléments demeurent largement problématiques dans l’ouvrage. Brunet émet parfois des conclusions englobantes : 

Tel était le sort humiliant des Canadiens devenus de simples outils entre les mains d’un gouvernement étranger et associés malgré eux comme subalternes à la bourgeoisie britannique. Celle-ci édifia son empire économique parce qu’en plus de pouvoir compter sur l’appui de sa métropole-nourricière, elle avait les moyens de s’approprier l’expérience que les hommes d’affaires canadiens avaient acquise dans le commerce colonial. Ceux-ci n’étaient pas libres de refuser leurs services. Ils étaient totalement à la merci de leurs concurrents. Politiquement dominés, les Canadiens étaient condamnés à devenir économiquement asservis. Ainsi se résume toute l’histoire de la collectivité canadienne-française depuis la Conquête[12].

Qui plus est, plusieurs préjugés sont présents et les nuances se perdent régulièrement au détriment d’une idéologie avouée. Par exemple, Brunet dénonce « l’attitude de la gent féminine », en parlant des relations qu’elles entretiennent avec les Britanniques[13], et il se lance à quelques reprises dans des exercices de psychologie collective en écrivant au nom du peuple comme s’il formait une entité homogène[14]. Au final, il s’agit d’un livre fort intéressant à lire pour comprendre une idéologie présente au temps de la Révolution tranquille, mais qui doit néanmoins être pris avec un grain de sel. 


[1] Michel Brunet, Les Canadiens après la Conquête, 1759-1775, Montréal, Fides, 1969, coll. « Fleur de lys », p. 20 et 126. 

[2] Ibid., p. 74.

[3] Ibid., p. 76. 

[4] Ibid.

[5] Ibid., p. 108.

[6] Ibid., p. 146. 

[7] Ibid., p. 21. 

[8] Ibid., p. 68. 

[9] Ibid., p. 112.

[10] Ibid., p. 126. 

[11] Ibid., p. 127. 

[12] Ibid., p. 208. 

[13] Ibid., p. 28.

[14] Ibid., p. 55-58. 

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