La deuxième édition de L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, publiée en 1992, est un ouvrage d’histoire générale rédigé par le collectif Clio, un regroupement de quatre femmes aux professions différentes. Le collectif compte Micheline Dumont, professeure émérite d’histoire à l’Université de Sherbrooke; Michèle Jean, qui était sous-ministre de l’Emploi et de l’Immigration au Canada lors de la première édition en 1982; Marie Lavigne, présidente du Conseil du statut de la femme du Québec ainsi que Jennifer Stoddart, directrice des Enquêtes à la commission des droits de la personne du Québec[1]. Dans cet ouvrage, c’est le genre qui est au centre des interrogations. L’histoire du Québec est entièrement revue par le collectif en fonction du rôle joué par les femmes dans celle-ci. Pour reconstruire ce récit historique sous un angle d’approche différent, les autrices du collectif mobilisent une variété de sources : actes judiciaires (procès civils), correspondances, registres de l’état civil (notamment pour la question des mariages), les Relations des Jésuites (pour comprendre le climat de « mysticisme » qui a incité les femmes européennes à venir au Canada), les récits de voyage (Pehr Kalm), les actes notariés ainsi que plusieurs monographies, dont les études du démographe Hubert Charbonneau.
À la lecture de cet ouvrage, qui se rapproche de ce que nous pourrions qualifier d’essai historique, il est possible de conclure que deux grandes périodes ont caractérisé la situation des femmes au Canada au cours des XVIIe et XVIIIesiècles. La première est l’étape du « sous-développement » de la colonie durant le XVIIe siècle. « Aussi longtemps que la colonie s’est trouvée dans un état de sous-développement, écrivent-elles, les femmes ont donc bénéficié d’une relative indépendance[2] ». Durant cette période, les femmes ont participé à presque toutes les occupations sociales[3]. Elles font fonctionner des petits commerces (tissus, vêtements, fourrures, eau-de-vie, ustensiles, etc.), elles s’occupent de l’assistance sociale (charité publique, secours aux pauvres, vieillards, aux invalides, aux malades, aux fous, aux prisonnières, aux prostitués, aux orphelins, etc.), elles stabilisent la société (mariages, filles du Roi, maisons, enfants, familles, croissance démographique, etc.) et elles s’occupent de la fondation spirituelle et matérielle de la colonie. Par exemple, plusieurs fondations diverses sont établies durant ce siècle :
Le couvent des Ursulines de Québec en 1639, œuvre de Marie Guyart (Marie de l’Incarnation); l’Hôtel-Dieu de Québec en 1639, dont le service est assuré par les Hospitalières de Dieppe sous la direction de Marie Guenet et de Marie Forestier; l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1643, œuvre de Jeanne Mance qui s’assurera, à partir de 1659, le service des Hospitalières de La Flèche; la congrégation des Filles séculières de Ville-Marie, fondée en 1669, qui est l’achèvement de l’œuvre de Marguerite Bourgeoys, arrivée à Montréal en 1653[4].
Ainsi, les débuts de la période coloniale ont engendré une situation exceptionnelle pour les femmes. « On s’attend à ce que les femmes outrepassent les limites qui leur sont culturellement imposées. Parce qu’on a besoin d’elles, des femmes se font fondatrices, marchandes, guerrières, administratives, missionnaires. Parce qu’on a un pays à ouvrir, des centaines de femmes “propres au travail comme des hommes” apprennent le dur métier de défricheur, tout en peuplant la colonie[5] ». Selon les autrices, ce qui caractérise ce siècle, ce n’est pas tant l’héroïsme, le caractère inusité ou non traditionnel des gestes des femmes, mais la « multiplicité des actes indépendants et autonomes qu’elles peuvent accomplir[6] ».
L’autre période, quant à elle, est celle de la « stabilité » qui se manifeste au XVIIIe siècle. Durant ce moment, alors que les structures de la colonie sont bien en place (institutions, commerces, routes, lieux spirituels, villes, etc.), les femmes reçoivent une éducation qui les conditionnent aux codes culturels de leur sexe[7]. Elles sont de plus en plus reléguées au travail domestique (nourriture, habillement, idéal familial, etc.). C’est notamment le cadre légal du mariage, qui émane de la Coutume de Paris, qui limite les possibilités des femmes dans la société. Contrairement au siècle précédent, elles sont privées de plusieurs libertés individuelles. Sans l’autorisation maritale, elles ne peuvent accomplir aucun acte légal ni se lancer en affaires. La domination du mari sur les biens familiaux est absolue. Toutefois, les autrices démontrent que lorsqu’on compare la Coutume de Paris au Common Law qui régit les personnes immigrants du Haut-Canada à partir de 1791, « la situation des femmes d’ici paraît très favorable. La Coutume de Paris favorise les créances de la femme et des enfants par rapport à celles des créanciers ordinaires, et leur donne le même droit de racheter certains biens de la famille vendus aux étrangers. Mais, après 1760, les hommes anglophones, à l’esprit capitaliste, se plaindront du fait que ces lois rendent l’accumulation d’une fortune très difficile[8] ». Enfin, les femmes pendant le XVIIIe siècle et le premier quart du XIXe siècle ne sont pas uniquement confinées à la sphère domestique. En 1825, par exemple, presque 27% de la main d’œuvre active de Montréal est féminine (domestiques, journalières, enseignantes, gouvernante, laveuse, sage-femme, couturière, etc.). Certaines sont femmes d’affaires (Marie-Geneviève Noël), d’autres accompagnent les armées dans les déplacements (couture, soins des soldats malades, cuisines, etc.), les épouses des fonctionnaires agissent également comme agentes de relations publiques afin de faire « progresser la carrière de leur mari[9]». Ce que cet ouvrage nous démontre, finalement, c’est que le rôle occupé par les femmes dans le développement du Québec est considérable et que nous pouvons l’identifier dans presque toutes les sphères qui caractérisent la vie sociale, politique, économique, culturelle et religieuse de la colonie.
[1] Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Montréal, Le Jour, 1992 (1982), endos.
[2] Ibid., p. 59.
[3] Ibid., p. 30.
[4] Ibid., p. 47-48.
[5] Ibid., p. 67-68.
[6] Ibid., p. 68.
[7] Ibid., p. 88-89.
[8] Ibid., p. 96.
[9] Ibid., p. 124.
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