Dans cette série de trois cours articles que j’ai intitulé « cadre conceptuel », je vous présenterai les principaux concepts que je mobilise dans le cadre de mon mémoire. Pour le premier de la série, j’aborderai les concepts de féodalisme et de capitalisme en pair, puisque les deux doivent être considérés et compris comme un tout dans mon étude.
Avant de mettre en évidence les paramètres qui caractérisent ces concepts, un petit rappel s’impose. D’abord, je tiens à réitérer sur le fait que mon mémoire porte sur Joseph Drapeau (1752-1810), un seigneur-marchand canadien aux origines modestes qui a su se bâtir une fortune considérable. Sommairement, mes intentions dans cette étude peuvent se diviser en deux pans. D’une part, je cherche à rendre compte des stratégies familiales, professionnelles et foncières mises en place par Joseph Drapeau au cours de son ascension socioéconomique dans la société (Nouvelle-France, Province de Québec et Bas-Canada). Ce sera l’objet des deux prochains articles de cette série qui traiteront respectivement des concepts de « stratégie » et de « pluriactivité ». D’autre part, et c’est ce qui nous intéresse présentement, je désire comprendre les porosités qui ont caractérisé la transition entre deux modes de production économiques au Canada au tournant du XIXesiècle (féodalisme et capitalisme). Le cas de Joseph Drapeau est très intéressant pour comprendre cette transition. En diversifiant ses investissements, Drapeau a bénéficié de revenus en provenance de deux modes de production économiques. D’abord, il parvient à se créer un capital considérable avec ses diverses entreprises, dont ses chantiers de construction navale à la Baie-Saint-Paul et à Québec, ses magasins généraux ainsi que ses possessions immobilières, qui s’harmonisent avec le mode de production capitaliste qui est en pleine effervescence à la fin du XVIIIe siècle. Ensuite, il génère du capital par l’entremise de ses nombreuses seigneuries, ou son « ensemble seigneurial », qui sont des institutions d’Ancien Régime et dans lesquelles l’unité de production de base est la paysannerie. Je désire, entre autres, répondre à la question suivante : comment Drapeau est-il parvenu à tirer simultanément profit de ces deux modes de production économiques?
Féodalisme laurentien
Le féodalisme est un concept utilisé par les historiens marxistes pour désigner le mode de production économique qui était en place, dans la vallée laurentienne comme ailleurs dans le monde, avant le capitalisme. Pour eux, le féodalisme se manifeste à travers une institution d’origine féodale : la seigneurie[1]. Ceux qui s’éprennent de ce concept ne considèrent pas tous que le Bas-Canada était une société féodale comme nous la retrouvons à la même époque en Europe. Toutefois, le point qu’ils ont en commun est qu’ils estiment que la seigneurie est une entreprise de type féodal telle que décrite par Guy Bois. Ce dernier mentionne que « le prélèvement est l’aspect principal de l’intervention économique du seigneur. Dans la fonction de ce dernier, on a distingué une action directe (participations aux activités de production) et une action indirecte (effet du prélèvement seigneurial sur la production paysanne). Or, son action directe est en définitive assez réduite[2] ». Ainsi, le féodalisme se comprend par le fait que « la plupart des surplus économiques sont drainés par une classe privilégiée en raison de son seul droit juridique sur la terre[3] ». Dans ce mode de production économique, l’unité de production de base est la paysannerie[4].
Capitalisme
Le terme capitalisme est généralement utilisé pour désigner « la société moderne où la production massive de marchandises repose sur l’exploitation du travail salarié du non-possédant par des possesseurs de moyens de production[5] ». En comparaison avec les sociétés rurales issues du féodalisme, qui vivent beaucoup sur elles-mêmes avec un minimum d’échanges et de règlement en monnaie, les sociétés capitalistes sont marchandes[6]. De manière générale, le capitalisme vient de pair avec la concentration des moyens de production dans les mains de ceux qui détiennent le capital, une production destinée au grand commerce international, un exode rural au profit des centres urbains ainsi que la prolétarisation des paysans[7]. La bourgeoisie occupe un rôle de premier plan dans la mise en place d’une société capitaliste. Pour les historiens marxistes, la transition du féodalisme au capitalisme constitue la pierre angulaire de l’analyse de l’histoire[8].
[1] Robert C. H. Sweeny, « Paysan et ouvrier : du féodalisme laurentien au capitalisme québécois », Sociologie et sociétés, vol. 22, n° 1 (printemps 1990), p. 143.
[2] Guy Bois, La crise du féodalisme, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1976, p. 354 ; Voir également Dessureault, Le monde rural…, p. 55.
[3] Ibid.
[4] Sweeny, « Paysan et ouvrier … », p. 145.
[5] Vilar, « La transition du féodalisme au capitalisme », p. 36.
[6] Ibid., p. 36-37.
[7] Ibid., p. 39.
[8] Ernest Mandel, La place du marxisme dans l’histoire, Québec, Éditions M, 2011 [1998], p. 102.
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