Brève histoire des idées au Québec – Yvan Lamonde

L’ouvrage Brève histoire des idées au Québec, publié aux éditions Boréal en 2019, est écrit par l’historien Yvan Lamonde. Le professeur émérite d’histoire et de littérature à l’Université McGill analyse dans cette étude deux cents ans d’histoire intellectuelle, politique et civique au Québec. Cette histoire des idées, qui commence avec l’avènement du régime britannique en 1763, traite de « la société civile et la démocratie et non pas seulement [de] la politique. Le civique, le politique plutôt que la politique[1] ». En étudiant les sources issues de la presse écrite, des rapports d’assemblée, de la correspondance privée de certains acteurs politiques, des positions du clergé et des communiqués divulgués par les autorités coloniales, Lamonde établit un portrait des grands courants idéologiques qui ont façonné le Québec entre 1763 et 1965. Pour les XIXe et XXe siècles, ce sont le catholicisme, le libéralisme (au sens des libertés anglaises) ainsi que le nationalisme qui ont dominé le monde des idées dans la sphère publique canadienne. 

Dans les quatre premiers chapitres de l’ouvrage, l’historien présente chronologiquement l’évolution des grands courants d’idées, les groupes et acteurs qui participent à la vie civique ainsi que le contexte social et politique dans lequel le Canada évolue : monarchisme constitutionnel, tentation face au Républicanisme états-unien, parlementarisme truqué, démocratie détournée, régime colonial, pouvoir religieux, féminisme et modernité. Dans ses écrits, trois périodes distinctes peuvent être identifiées dans la compréhension du monde des idées au Québec. Les balises temporelles de la première se trouvent entre la Conquête et l’Acte constitutionnel de 1791. La deuxième période, quant à elle, débute avec l’apparition d’une Chambre de représentants élus, en 1791 justement, jusqu’à l’Acte d’Union de 1840 et, enfin, la troisième commence à l’union pour se terminer à la Confédération de 1867. 

Lamonde démontre bien que la première période (1760-1791) représente un moment d’initiation aux libertés anglaises pour la population canadienne. Le Canada passe d’une monarchie de droit divin à une monarchie constitutionnelle. Suite au contexte immédiat d’après-guerre – régime militaire et Proclamation royale de 1663 – , la distribution du pouvoir se concrétise pour cette période avec l’Acte de Québec de 1774 qui « distribue le pouvoir entre le gouverneur, dépositaire du pouvoir royal, un Conseil exécutif et un Conseil législatif, dont les membres sont nommés par le gouverneur[2] ». Le pouvoir est centralisé. C’est également durant cette période que commencent à circuler dans la Province de Québec les œuvres de grands penseurs comme Locke, Montesquieu, Blackstone et De Lolme. Dès 1764, les livres et la presse, dont la Gazette de Québec, participent à l’éducation des Canadiens « qui commencent à réfléchir aux principes de la Constitution britannique et aux libertés anglaises[3] ». Une fois familiarisées à celles-ci, les revendications par les Canadiens d’une représentation politique ne tardent pas. L’autorité britannique, qui ne désire pas subir une autre révolution – Révolution américaine de 1776 – pratique la technique de la « sage politique », qui consiste à « différer le plus longtemps possible les concessions politiques tout en s’assurant qu’on masque bien le report des réformes[4] ». L’Acte constitutionnel de 1791, qui offre une Chambre de représentants élus aux Canadiens, est une manifestation de cette politique. 

C’est à partir de ce moment clé que débute la seconde période au sein de laquelle se déploiera une importante lutte autour du pouvoir. Même avec l’adoption de l’Acte constitutionnel, en 1791, le pouvoir continu d’être répartie « entre le gouverneur, un Conseil exécutif de neuf membres et un Conseil législatif de quinze membres nommés par le gouverneur et qui, dans le dernier cas, sera composé du deux tiers d’anglophones jusqu’en 1815. Quant à la nouvelle instance de contrepoids démocratique, la Chambre d’Assemblée, elle regroupe 50 députés[5] ». Lamonde démontre que l’Acte constitutionnel, qui a permis la tenue de débats en Chambre, concorde avec l’apparition d’une opinion publique aux tendances libérales, au sens des libertés anglaises, et anticléricales. Dans la colonie s’observe un désir de représentation politique pour la population, qui concerne principalement la revendication d’un Conseil législatif élu, et de la séparation des pouvoirs religieux et politique. Les tensions, surtout entre 1815 et 1837, seront très fréquentes. Il y aura des tensions ethniques entre les Canadiens et les Anglais, des tensions sociales entre la majorité populaire et les marchands et fonctionnaires qui détiennent majoritairement les reines du pouvoir ainsi que des tensions politiques entre les patriotes et le gouvernement. L’effervescence culturelle au Québec dans les années 1830, caractérisé notamment par l’essor de la presse (La Minerve, Vindicator, Gazette de Montréal, Le Canadien, etc.), la montée des professions libérales, l’augmentation du nombre d’écoles et d’endroits de diffusion de la culture comme les librairies, combiné au détournement de la démocratie par les autorités coloniales vont créer une impasse politique dans la colonie (92 Résolutions, 10 résolutions Russel, dissolution de l’Assemblée, rassemblements populaires, Rébellions de 1837-1838, etc.).  

Les rébellions et l’Acte d’Union de 1840 vont venir « casser » ce phénomène d’une opinion publique aux tendances libérales, qui ne se concrétisera qu’au cours de la Révolution tranquille plus d’un siècle plus tard. Entre temps, c’est un nationalisme culturel, dominé par le clergé, qui caractérisera le monde des idées au Québec. Au cours de la période dite de la Survivance, ce sont les volontés de conservation de la religion, de la langue et des mœurs qui prédominent dans la Province. L’Église et l’idéologie de l’ultramontanisme deviennent triomphantes.  


[1] Yvan Lamonde, Brève histoire des idées au Québec 1763-1965, Montréal, Boréal, 2019, p. 7. 

[2] Ibid., p.13. 

[3] Ibid., p.12.

[4] Ibid., p.15. 

[5] Ibid., p.15-16. 

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