Jean-François Lozier, historien et professeur à l’Université d’Ottawa, propose dans cette étude une analyse microhistorique des établissements missionnaires destinés aux Autochtones dans la vallée du Saint-Laurent – Lorette (Wendake), Arsikantegouk (Saint-François, aujourd’hui Odanak), Kahnawake (Sault Saint-Louis), de Kanehsatake (La Montagne) et Skawenati (Sault-au-Récollet)[1] – entre les années 1630 et 1760[2]. Les sources mobilisées sont d’ordres ethnographiques. Ce sont les Relations des Jésuites, surtout, mais également les écrits des missionnaires – Récollet –, des explorateurs – Champlain – ainsi que les archives des Augustines qui ont permis à Lozier de tirer ses conclusions. Tout au long de l’ouvrage, les analyses de l’historien sont spécifiquement centrées sur les particularités des événements du quotidien et de comment ceux-ci ont été vécus par les individus concernés. Cette approche spécifique permet de bien saisir les dynamiques présentes dans les missions de la vallée laurentienne, mais également le rôle qu’elles ont joué dans les contacts avec les Premières Nations. Ce livre, précise Lozier, est surtout « preoccupied by the spaces and processes of settlement[3] ». De manière générale, « Flesh Reborn accordingly explores the entanglement of community-building, identity formation, armed conflict, diplomacy, kinship, leadership, and migration. It is about how blood was at times spilled and at times mingled, and how bodies, individual and political, were destroyed and remade[4] ».
Lozier démontre dans les premières lignes de son ouvrage que, contrairement à ce l’historiographie a généralement véhiculée, les habitations autochtones et les activités qui y sont liées ont commencé bien avant 1639. Elles étaient très intenses dès la décennie 1620[5]. L’ouvrage offre également un portrait très clair de la « menace iroquoise[6] » et de la crainte réelle qu’elle générait chez les contemporains qui étaient en guerre contre la Ligue des Cinq Nations. Les Mohawks, surtout, étaient craints des missionnaires et des Hurons-Wendats qui vivaient dans la vallée du Saint-Laurent – esclavage, torture, cannibalisme, raids violents –. Cette crainte, nous pouvons le lire dans ce livre, était justifiée puisque les guerres contre les Iroquois, mais également les épidémies[7], ont menées à la chute de la Huronie et de sa cohésion politique en 1657[8]. Toutefois, Lozier démontre bien dans son étude que les Hurons-Wendats sont restés dans différents établissements plusieurs décennies après cette date fatidique. Ils ont été relocalisés à de nombreuses occasions – Québec, Anse-du-fort sur l’Île-d’Orléans, Notre-Dame-de-Foy, Ancienne-Lorette et Jeune-Lorette où ils vivent encore de nos jours[9] –, ce qui vient nuancer fortement l’idée de la « disparition » des Hurons-Wendats.
Lozier traite bien de la dynamique qui existait entre les guerres, la diplomatie – Ondagas surtout – et le rôle joué par le médiateur « Onontio » dans l’établissement de missions iroquoises durant la deuxième moitié du XVIIe siècle. Nous constatons également l’omniprésence de l’interculturalisme dans les camps en présence : il n’y a pas de catégories culturelles fermes qui caractérisent les groupes[10]. Alors que l’historien Laurier Turgeon a démontré dans son dernier ouvrage l’intensité des échanges culturels entre Eurocanadiens et les Premières Nations durant le XVIe siècle[11], celui de Jean-François Lozier atteste de l’intensification de ces rapports interculturels, tant entre les différents groupes des Premières Nations qu’entre les Eurocanadiens et celles-ci, entre les années 1630 et 1760. Toutefois, écrit Lozier, il est important de préciser que :
If, with the caveat that centuries are arbitrary units of time, a broad distinction might be made between the seventeenth century and the eighteenth as far as the history of the French and Indigenous inhabitants of the Saint Lawrence valley is concerned, it might be that whereas the threat represented by the Iroquois and the opportunities presented by them loom as the dominant theme of the first period, during the second they were replaced by British colonists. The Great Peace of 1701 marked the emergence of this new geopolitical landscape. Indeed, if the Iroquois wars and politics of integration had been central to the foundation of the mission settlements, war against Great Britain and the politics of imperial trade henceforth would be integral to their story. As the War of the League of Augsburg gave way to that of Spanish Succession, initiating a cycle of war and armed peace, Louis XIV opted for a new colonial strategy whereby New France’s primary function would be to serve as a bastion of empire. In this perspective, the mission villages came to be understood by colonial officials above all as strategic bulwarks, rather than sites of religious and cultural change.36 This increased appreciation for the crucial role of these communities in colonial defence did not put an end to French paternalism, however, and indeed contributed to amplifying colonial expectations of subservience – expectations which predictably clashed with the patterns of Indigenous self-determination firmly maintained during the foundational years of the seventeenth century[12].
[1] Jean-François Lozier, Flesh Reborn. The Saint Lawrence Valley Mission Settlements through the Seventeenth Century, Montréal, MQUP, 2018, p. 6.
[2] Ibid., p. 22.
[3] Ibid., p. 7.
[4] Ibid., p. 9.
[5] Ibid., p. 40.
[6] Ibid., p. 47.
[7] Ibid.
[8] Ibid., p. 136.
[9] Ibid., p. 155.
[10] Ibid., p. 219.
[11] Laurier Turgeon, Une histoire de la Nouvelle-France. Français et Amérindiens au XVIe siècle, Paris, Belin, 2019, 286 p.
[12] Lozier, Flesh Reborn. The Saint Lawrence Valley Mission Settlements through the Seventeenth Century, p.302-303.
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