L’historienne et professeure associée à l’Assomption University au Massachusetts, Leslie Choquette, étudie dans cet ouvrage les mouvements migratoires français vers le Canada survenus durant les XVIIe et XVIIIe siècles, qu’ils aient été saisonniers, temporaires ou permanents[1]. L’éventail de sources mobilisées dans cette démonstration est pour le moins impressionnant. Du côté canadien, Choquette a utilisé des documents ecclésiastiques – actes de baptême, listes des nouveaux convertis et des communiants, listes des patients de l’Hôtel-Dieu de Québec, actes de mariage, etc. –, les répertoires généalogiques de Marcel Trudel et ceux de Marcel Fournier, plusieurs recensements ainsi que des registres paroissiaux[2]. Du côté français, ce sont également les registres paroissiaux qui sont mobilisés, mais aussi les dossiers d’hospitalisations, les listes de passagers, les contrats de mariage, d’apprentissage et d’engagement, de nombreux documents militaires – recrutement, régiment Carignan –, ainsi que de la correspondance officielle entre les autorités canadiennes et françaises[3]. Au total, ce sont 16 000 individus qui composent le corpus de Choquette[4]. La démonstration se divise en deux parties, lesquelles regroupent plusieurs chapitres.
Dans la première, c’est la question de la « modernité[5] » qui est étudiée par Choquette. Elle y examine « l’émigration vers le Canada sous l’angle de la vie économique et sociale en France, tant régionale que nationale[6] ». La démonstration décortique minutieusement, dans une énumération principalement statistique, de nombreuses particularités provinciales : origines départementales, répartition entre ruraux et urbains, lieux d’origine, orientation économique – zones de capitalisme, de féodalisme, d’économies de marchés, de commerce atlantique, etc. – , l’émigration spécifiquement féminine, les classes socio-professionnels ainsi que la diversité religieuse – protestants, juifs, catholiques –. Définitivement, cette première partie permet de réaliser l’importance numérique des mouvements migratoires dans l’espace et dans le temps au moment de la transition économique entre le féodalisme et le capitalisme. Plus de 75 000 migrants seraient, selon Choquette, partis de France vers le Canada à l’époque de la Nouvelle-France[7]. Cette émigration serait, en général, « un sous-produit des intérêts français, continuellement en expansion, dans l’économique atlantique des XVIIe et XVIIIe siècles[8] ». Elle ne reflèterait pas une vision traditionnelle d’un monde « repliez sur soi-même » trop souvent associé à la société d’Ancien régime, mais plutôt d’une « modernité » bien entamée.
L’historienne nuance toutefois l’ampleur de la modernité dans une deuxième section où elle examine le poids des « traditions » sur les mouvements migratoires et, de manière générale, dans cette société française d’Ancien régime. Choquette démontre que :
L’image traditionnelle d’une France sédentaire, malgré sa popularité, se trouve être fausse. Qu’ils aient été du Sud ou du Nord, femmes ou hommes, ruraux ou urbains, pauvres ou riches, les Français se déplaçaient aux XVIIe et XVIIIe siècles, et, qui plus est, à grande échelle. Le taux assez élevé d’émigration vers l’étranger, et même vers les colonies [375 000 départs vers les colonies[9]], correspondait, en termes absolus, au fait que la France était la nation la plus populeuse en Europe. Et cette émigration n’était que la pointe de l’iceberg en comparaison du taux de migration interne. Ainsi que Debien l’a souligné il y a quelques années, l’émigration à l’étranger et vers les colonies n’était réellement rien de plus qu’un « aspect latéral, un dérivatif » des modèles internes de la mobilité, et particulièrement du modèle le plus répandu : « l’exode rural vers les villes ». « Il faut pour la comprendre la remettre dans un ensemble social, la regarder comme un aspect particulier d’un fait beaucoup plus général : les migrations intérieures françaises »[10].
Ces migrations intérieures sont associées, principalement, aux activités économiques et artisanales traditionnelles. Ainsi, tant la tradition que la modernité ont joué un rôle dans la formation d’un courant migratoire entre la France et le Canada[11]. En termes sociaux et économiques, le processus de peuplement du Canada a surtout été un mouvement issu de la modernité : « les origines régionales, sociales et religieuses des émigrants les désignaient clairement comme des gens ne faisant pas partie de la France profonde[12] ». En termes démographiques, toutefois, « le mouvement s’est avéré plus traditionaliste, car il s’est bâti à partir des modèles de mobilité de populations déjà existants. Même si, au XVIIesiècle, les émigrants pour le Canada s’embarquaient vers une destination nouvelle, ils le faisaient en passant par des canaux extrêmement familiers tels que l’exode rural, l’enrôlement militaire ou la migration de ville en ville pour trouver du travail[13] ».
[1] Leslie Choquette, De Français à paysans. Modernité et tradition dans le peuplement du Canada français, Québec et Paris, Septentrion et Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2001 (édition anglaise 1997), p. 4.
[2] Ibid., p. 7-9; 15.
[3] Ibid., p. 10-14.
[4] Ibid., p. 4.
[5] Ibid., p. 3-153.
[6] Ibid., p. 4.
[7] Ibid., p. 21.
[8] Ibid., p. 153.
[9] Ibid., p. 171.
[10] Ibid., p. 172.
[11] Ibid., p. 188.
[12] Ibid., p. 259.
[13] Ibid.
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