Les transformations du paysage et de la société du Québec sous le régime seigneurial – Colin Coates

Colin M Coates (1960 -…) est un historien anglophone. Il a réalisé sa thèse de doctorat sous la direction de Fernand Ouellet. Dans son étude Les transformations du paysage et de la société du Québec sous le régime seigneurial, il met en lumière l’histoire culturelle de la seigneurie de Bastican et de Saint-Anne-de-la-Pérade sous l’angle du territoire, notamment du paysage. Selon lui, « le paysage ne représente pas seulement l’environnement d’une région écologique quelconque, mais plutôt le façonnement culturel d’un espace physique[1] ». Ainsi, en analysant l’évolution des paysages, de l’arrivée des premiers colons français au XVIIsiècle jusqu’au XIXsiècle sous l’occupation britannique, l’historien parvient à recréer les rapports sociaux entre individus et groupes ethniques. 

Coates souligne dans son deuxième chapitre, intitulé Paysages des seigneuries, que les élites locales, telles que les seigneurs, les prêtres, les officiers locaux de l’État (juges, notaires, huissiers et capitaines de milice) et les officiers militaires, assuraient le lien entre leur société et le monde extérieur[2]. L’historien nous parle de la présence d’une collaboration entre le seigneur et l’État[3]. Surtout, il met l’emphase sur la tenure seigneuriale qui aurait « indubitablement été un important facteur dans le changement du paysage. C’est elle qui a donné aux localités leurs grands contours, même si elle n’a pas, à strictement parler, déterminé la nature de l’utilisation de la terre. Cela a plus répondu aux exigences d’une production agricole à petite échelle, où la famille passait en premier. En surface, le paysage a projeté la présence de seigneuries, même si on peut exagérer l’effet que les seigneurs ont eu sur lui[4] ». Ici, il s’agit d’une interprétation complètement contraire à celle que fait Cole Harris dans son ouvrage The Seigneurial System in Early Canada. A Geographical Study.Qui plus est, Coates souligne l’incompatibilité de la tenure seigneuriale avec le progrès économique durable en raison du fait que les seigneurs monopolisaient des ressources rares. 

Dans un troisième chapitre, Paysage du paysan, Coates démontre que les premiers seigneurs de Batiscan, les jésuites, détenaient une solide position légale vis-à-vis des paysans, « non seulement parce que la loi penchait toujours en leur faveur, mais aussi parce que, étant donné les liens qu’ils entretenaient avec les dirigeants coloniaux, ils avaient beaucoup plus de chances de recevoir l’approbation de l’État dans leurs causes. En ce sens, les seigneurs jouissaient d’un pouvoir virtuel considérablement supérieur à celui des paysans, et cette capacité jouerait sans cesse davantage à mesure que croîtraient les populations des seigneuries durant le régime français[5] ». L’historien traite également en profondeur de l’appropriation du paysage par les paysans : du déboisement à la mise en place de différentes cultures, dont le chanvre. Il souligne que « c’est le travail laborieux de générations d’agriculteurs des campagnes qui a transformé le paysage pour lui donner son allure européenne[6] ». Le quatrième chapitre est dédié aux différents liens familiaux. Coates affirme que « les liens familiaux constituaient le ciment qui tenait la société locale ensemble. Pour des individus de toutes les classes, la famille représentait le principal moyen d’expression de son existence[7] ». 

Dans le cinquième chapitre, Ordre et subordination, l’historien analyse les rapports entre les individus de différentes strates sociales. Il remarque que « les rapports sociaux sous le régime français présentent deux tendances apparemment contradictoires, mais qui se renforçaient en fin de compte mutuellement. En premier lieu, ceux qui représentaient l’autorité comptaient fortement sur une conception de la hiérarchie. En second lieu, certains de ces mêmes représentants étaient responsables des désordres qui se produisaient dans la région[8] ». Il ajoute que « les paysans n’avaient pas beaucoup de chances de s’exprimer sur les relations sociales existantes. Ils ne semblent pas avoir défié ouvertement la place qu’occupaient leurs supérieurs dans l’échelle sociale[9] ». Il conclut le chapitre en mettant l’emphase sur le fait que la hiérarchie a fourni la structure à imiter pour l’organisation sociale locale : « tous les individus assumaient certains rôles et attendaient des autres qu’ils remplissent les leurs. Installés au sommet de la hiérarchie, les seigneurs, les curés et les officiers de milices étaient des personnages puissants à l’échelle locale. C’était à qui obtiendrait le plus fort ascendant sur les habitants[10] ».

Le sixième chapitre de l’étude, La vie communautaire, aborde différents éléments comme les différents lieux publics et leurs importances, la question des travaux publics sous le régime français ainsi que la communauté sous le régime britannique. La majorité des lignes de ce chapitre sont attribuées à l’analyse de la cour seigneuriale de Batiscan. Encore une fois, ces observations attestent que « le tribunal renforçait la hiérarchie sociale. C’était manifestement un endroit où l’honneur personnel entrait en jeu. Le rang était important dans le processus judiciaire[11] ». Il remarque que « la cour ne servait ni à réduire les écarts sociaux entre niveaux hiérarchiques ni à maintenir ainsi l’harmonie, mais, au contraire, elle imposait les vues de l’élite sur les classes inférieures[12] ». Quant au septième chapitre, intitulé Un paysage industriel, il traite principalement de l’époque des forges de Batiscan (1799-1813), qu’il analyse minutieusement, et par la suite, des seigneurs Hale, famille noble britannique qui devient propriétaire de la seigneurie en 1820. Dans son dernier chapitre, Un paysage pittoresque, Coates parle des différentes tentatives d’appropriation du territoire par les Hales. Il dit que « les Hales ont tenté d’appliquer dans la vallée laurentienne, à échelle réduite, les leçons d’impérialisme anglais que le monde subissait au début du XIXe siècle. Leur projet n’était pas simplement politique ou économique; il comportait aussi une appropriation esthétique[13] ».

Enfin, la ligne directrice de cette étude tourne constamment autour du concept de l’appropriation du paysage. Que ce soit par les autochtones qui y étaient avant l’arrivée des Européens, les premiers colons qui y pratiquaient le commerce des pelleteries, les premiers qui sont sédentarisés, les Canadiens français ou bien des Britanniques qui ont tenté de recréer une « mini-Angleterre ». Au travers de ces différentes vagues d’immigration, ce qui ressort de ces interprétations c’est la survivance de la société canadienne-française et la montée du sentiment nationaliste pendant le régime britannique.


1) Colin M. Coates, Les transformations du paysage et de la société du Québec sous le régime seigneurial. Sillery, Septentrion, 2003, [2000]. p. 12. 

2) Ibid., p. 32. 

3) Ibid., p. 34. 

4) Ibid., p. 44. 

5) Ibid., p. 48. 

6) Ibid., p. 72. 

7) Ibid., p. 73. 

8) Ibid., p. 110. 

9) Ibid., p. 111.

10) Ibid., p. 121. 

11) Ibid., p. 134. 

12) Ibid., p. 137. 

13) Ibid., p. 190. 

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