Des origines aux insurrections (1791-1837) : quarante ans de luttes politiques et sociales dans le Bas-Canada

Dans l’hémisphère atlantique, les XVIIIe et XIXe  siècles ont été les témoins de nombreux événements de contestations caractérisés, en autres, par l’émergence du nationalisme. Le Canada, colonie sous le joug de l’Empire britannique, n’en fait pas exception. En 1837 et 1838, les autorités coloniales doivent composer avec des insurrections armées au Bas-Canada. Ces rébellions sont l’aboutissement d’un processus visant d’abord à tirer la province d’une impasse politique aux racines lointaines[1]. Pour comprendre les origines de ce litige politique, il faut remonter en 1791,  moment où l’Acte constitutionnel, qui légifère la création du Haut et du Bas-Canada, est adopté par Londres. Au cours de ces quatre décennies de désenchantement, les meneurs politiques de l’opposition canadienne-française sont un groupe de députés à l’Assemblée, qui partage une vision similaire et qui sont connu sous divers noms. Dans les débuts, nous les identifions sous les appellations de Parti populaire, puis Parti canadien. Enfin, dans les moments les plus tendus du climat sociopolitique, l’opposition connaît sa notoriété sous le nom de Parti patriote[2]. Jusqu’aux années 1820, les Franco-canadiens de l’Assemblée défendaient des idées réformistes et loyalistes, mais les députés patriotes vont se tourner vers le Républicanisme et critiquer sévèrement le régime colonial au début des années 1830[3]. De 1826 à 1837, le Parti patriote est le mouvement politique majoritaire au Bas-Canada[4]. Dans ce monde atlantique où les interrelations et les échanges sont omniprésents[5], le Parti sera inspiré des philosophes des Lumières ainsi que des mouvements anticoloniaux américains et il va militer ouvertement pour l’adoption des institutions politiques républicaines. En 1834, les patriotes dressent une liste de 92 Résolutions[6], qui constituent une sorte de « cahier de doléances à l’intention de Londres[7] » dans lequel ils revendiquent des changements drastiques. Suite à cela, les autorités coloniales imposeront une politique répressive envers le mouvement et l’escalade des tensions mènera le Bas-Canada vers les insurrections armées de 1837 et 1838. 

À partir de cette succincte mise en contexte historique, l’objectif de cet article sera d’établir l’état des faits quant aux raisons, sociales et politiques, ayant contribué à l’éclatement des insurrections de 1837 et 1838 dans le Bas-Canada. Quoi que ponctuellement événementiel par nécessité, cet article confrontera les sources entres elles afin d’offrir une réponse nuancée. Entre 1791 et 1837, nous expliquerons quels sont les facteurs sociopolitiques expliquant la radicalisation, par la prise des armes, du mouvement de contestation des patriotes bas canadiens.  Qui plus est, il est important de prendre note que cet article ne couvrira pas l’épisode révolutionnaire, mais bien les étincelles qui l’ont engendré. 

Les écrits sur les causes des Rébellions

Dans l’historiographie, il existe des débats quant aux causes principales de la prise des armes par les patriotes. En ce qui concerne les origines lointaines du mouvement patriote au Bas-Canada, certains historiens issus de l’école de Montréal, tels que Guy Frégau, Michel Brunette et Maurice Séguin, remontent à la conquête anglaise de 1760. Pour ces derniers, aussi appelés les néonationalistes, l’histoire politique du Canada français ne se comprend qu’en tenant compte de deux désastres inévitables : la colonisation anglaise annoncée depuis 1760 avec la conquête ainsi que la consolidation des deux Canada en 1840[8]. À l’opposé, d’autres ne partagent pas du tout la vision tragique du « désastre » annoncé de 1760. Les tenants de cette opposition, connue sous le nom de l’école de Québec avec notamment les historiens Fernand Ouellette, Jean Hamelin et Réjean Dion, sont d’une autre interprétation. Ils ont réussi à démontrer que la conquête n’était pas l’événement-choc qui a secoué la société canadienne-française puisqu’elle n’avait pas, à cette époque, de sentiment national. Selon eux, c’est plutôt une suite d’événements qui ont fait que les Anglais ont dominé les Canadiens français. Ainsi, en mettant l’accent sur l’économie et la classe politique, ils dématérialisent l’édification de la conquête et nuancent l’impact social de cette dernière[9]. 

Quant aux causes plus immédiates ayant contribué aux Rébellions, Alan Greer établit la radicalisation du mouvement aux années 1827 et 1828, moment où le Parti est en lutte politique contre le gouverneur Dalhousie. Pour sa part, Olivier Guimond défend l’idée que le sentiment anticolonial des patriotes, passant tout d’abord par Papineau, émerge en 1823 alors que ce dernier effectue son premier voyage à Londres et qu’il constate « la pauvreté de la classe ouvrière anglaise et les grandes inégalités sociales[10] ». D’autres, tels que Gilles Laporte, affectionnent l’idée d’une évolution du climat politique incluant de nombreux événements depuis 1791. Pour sa part, l’historien Gérard Filteau met de l’avant l’idée que de nombreux sabotages ont été effectués par les autorités coloniales à l’endroit des Canadiens français et que ce sont l’accumulation de ces actions qui auraient causé une réaction des patriotes. Enfin, il faut comprendre qu’il existe beaucoup d’interprétations et que les débats historiographiques sur cette question sont encore omniprésents. L’historien Jean-Paul Bernard a fait une excellente synthèse historiographique en regroupant les huit principales thèses historiennes, soit celles de Creighton, Groulx, Parker, Séguin, Vance, Ouellet, Bréhaut-Ryerson, Bourque dans son ouvrage Les Rébellions de 1837-1838. Le consulter serait judicieux pour comprendre tous les aspects regroupant l’état de cette question.

Des origines aux insurrections : quarante ans de luttes politiques et sociales

L’Acte constitutionnel de 1791

Pour comprendre les origines lointaines du mouvement patriote, il faut remonter à l’Acte constitutionnel de 1791 et non à la conquête de 1760. La raison est fort simple, tel qu’introduit précédemment, l’opposition aux historiens néonationalistes, connus sous le nom de l’École de Québec, est parvenue à démontrer qu’il n’existait pas de sentimental national « Canadiens français » au moment de la conquête. Le nationalisme s’avère être un phénomène qui s’observe au XIXe  siècle et puisqu’il est central au mouvement patriote, il est nécessaire de comprendre ce phénomène. Selon l’historien Philippe Reid, l’identité ethnique canadienne-française serait d’abord et avant tout « le produit du regard de l’autre, dans ce cas-ci des élites britanniques, qui ont défini le Canadien français et en ont imposé l’image[11] ». Ainsi,  il a fallu plusieurs années suivant la conquête pour que cette situation se concrétise. D’ailleurs, c’est en réaction à cela, après 1791, que ce phénomène émerge au Bas-Canada. Qui plus est, la naissance de ce nationalisme serait intimement liée au développement du libéralisme politique et économique et il serait, toujours selon Reid, « la conséquence d’une série de mutations sociales, politiques et économiques[12] ». Maintenant le nationalisme défini et interprété dans notre contexte, nous pouvons entamer l’analyse et faire ressortir les mutations sociales et politiques qui ont contribué à l’avènement des insurrections. 

Tout d’abord, l’impact de la Révolution américaine (1775-1783) est grand dans l’évolution de ce processus de contestation. Dans cette communauté atlantique où les échanges de marchandises, d’idées, de cultures, d’institutions et d’hommes sont récurrents[13], il va de soi que les répercussions de cette révolution ne se limitent pas uniquement au territoire géographique des États-Unis. De fait, suite à la défaite de l’Empire britannique, une vague d’immigration provenant du sud déferle sur la Province de Québec. Au total, 8 000 loyalistes s’ajoutent à la colonie[14]. L’arrivée massive de fidèles à la couronne britannique nous éclaire sur l’Acte constitutionnel de 1791 qui, nous l’avons mentionné plus haut, légifère l’apparition de deux provinces distinctes : le Haut-Canada et le Bas-Canada[15]. La première regroupant la population anglophone, fortement minoritaire au nombre de 70 718 en 1806[16], auxquelles viennent de s’ajouter les loyalistes provenant des États-Unis. La deuxième, les francophones de la vallée laurentienne qui composent une majorité écrasante de la population avec 250 000 habitants en cette même date[17]. À partir de ce moment, « les deux colonies sont dotées d’une législature bicamérale composée d’une Chambre d’assemblée, regroupant des députés élus, et d’un Conseil législatif dont les conseillers étaient sélectionnés par la Couronne[18] ». En apparence, la mise en place de ce système « représentatif » allait offrir aux sujets bas canadiens une certaine participation politique, mais ce qu’il faut comprendre c’est que la Constitution de 1791 réservait au Conseil législatif et au gouverneur le pouvoir de refuser toute législation adoptée par l’Assemblée[19]. En d’autres termes, ils détenaient un droit de VETO ce qui, au final, revient à la mise en place d’un parlementarisme truqué et au maintien de l’oligarchie britannique. De toute évidence, les premières contestations émergeront directement en lien avec cette situation politique. 

Les premières contestations

Dans les premiers soubresauts du système parlementaire au Canada, l’appartenance ethnique départage rapidement les clans politiques. Très rapidement, deux partis émergent : le Parti tory, regroupant l’élite britannique, ainsi que le Parti populaire ou canadien dans lequel Joseph Papineau, père de Louis-Joseph Papineau, ainsi que Pierre Bédard sont députés[20]. Au départ, les Canadiens français de l’Assemblée sont conservateurs et monarchistes, mais à mesure que le poids des seigneurs diminue et que celui des représentants des classes moyennes, marchands et membres des professions libérales s’accroît, le Parti canadien tend à devenir libéral et nationaliste[21]. Cette transition a-t-elle engendré les crises parlementaires ou si ce sont les crises elles-mêmes qui ont engendré cette transition? Il semblerait que ce soit la deuxième option.  En effet, de 1792 à 1805, les crises parlementaires sont épisodiques. À partir de cette date et jusqu’à ce que la Rébellion mette un terme au système parlementaire, la vie politique au Bas-Canada sera secouée de farouches luttes partisanes[22]. La situation politique, puis sociale, évolue rapidement et les tensions ponctuelles sont de plus en plus fortes. Notre premier exemple concerne le débat politique qui éclate en 1805 entre les deux parties sur la question du financement et de l’entretien des prisons à Québec. Initialement, les discordes surviennent à l’Assemblée, mais rapidement le peuple en sera informé et il participera indirectement au départ, puis directement par la suite.  De fait, dans le but de propager ses idées plus largement, le Parti canadien se dote d’un journal politique, le Canadien, en 1806[23]. Ce journal, qui en inspirera d’autres dans les années suivantes, va fortement contribuer à augmenter la notoriété du mouvement patriote par la propagation d’idéaux qui vont en ce sens. Le mouvement sort de l’Assemblée et s’émisse dans la population. 

L’année suivante marque l’élément déclencheur des premières grandes crises politiques qui surviennent dans la colonie. Le gouverneur James Henry Craig entre en fonction en 1807 et il est rapidement accusé de favoritisme par le Parti Canadien. Son mandat sera jalonné de crises : l’exclusion du député Hart en 1808, le débat sur l’éligibilité des juges, la querelle des prisons en 1809 ainsi que l’arrestation des journalistes du journal Le Canadien en 1810[24]. Les tensions étant trop fréquentes, Craig recevra l’ordre de la métropole de quitter la colonie. Enfin, malgré son retour à Londres en 1810, les tensions politiques perdurent. La preuve que les litiges n’étaient pas le résultat d’une opposition à un individu, mais bien à un mécontentement social et politique. Pendant les années Craig, les nombreux troubles politiques vont contribuer au durcissement des idéaux du Parti canadien. De plus en plus, il tend vers le nationalisme. Il ne suffit que d’analyser leur devise, « notre langue, nos institutions et nos lois[25] », pour comprendre l’émergence de ce phénomène. À cette époque, en débit de cette transition idéologique et des nombreuses discordes, l’espoir envers le système parlementaire est encore présent, mais d’autres événements contribueront à la radicalisation de ce qui commence à être un mouvement social dépassant les frontières de la politique. Sous l’influence des députés du Parti canadien, les habitants bas canadiens se trouvent de plus en plus mêlés aux processus parlementaires[26].

La génération Papineau : augmentation des tensions

Dans la deuxième décennie du XIXe siècle, l’endettement de la Grande-Bretagne est patent. Les guerres, dont celles contre la France de Napoléon et les États-Unis, ont occasionné d’énormes coûts au trésor britannique[27].  Cette situation financière se répercute dans les colonies britanniques. Au Bas-Canada en 1816, « le déficit des dépenses courantes de l’administration atteint 19 000 livres[28] ». Pour absorber cette dette, le gouverneur Sherbrooke s’approprie les revenus de taxes sur « le vin, l’eau de vie, le sel, le sucre, le café, le tabac et les licences de cabarets[29] ». Le Parti canadien, accueillant une nouvelle génération de députés dont Louis-Joseph Papineau, qui sera élu président de l’Assemblée législative, va militer hardiment contre cette ingérence des autorités coloniales dans l’économie du Bas-Canada. Les Canadiens français sont tous touchés par cette loi et ces derniers, qui s’informent et reçoivent des idées des journaux Le CanadienLa Minerve et Le Vindicator[30], commencent à ressentir la même volonté de lutte que les députés du Parti. À partir de cette date, les finances de la colonie seront un perpétuel sujet de tension[31]. La crise des subsides, qui paralyse les institutions parlementaires et bouleverse totalement la vie politique et sociale du Bas-Canada, témoigne de cette affirmation. 

À la même époque, le Parti Canadien se mobilise contre le projet d’union des deux Canada de 1822 ayant pour objectif d’assimiler les Canadiens français. Ce projet émerge puisque les hommes d’affaires anglophones déploraient les luttes politiques du Bas-Canada et souhaitaient y mettre fin en réduisant les chefs du Parti canadien à l’impuissance. Pour y parvenir, ils devaient placer la population franco-catholique en minorité à l’Assemblée législative et enlever ainsi à ses porte-paroles les moyens de limiter l’expansion de la  colonisation britannique[32]. L’union était la solution. Ce projet provoque une réelle crise politique et transforme radicalement le contexte sociopolitique de la colonie. « Des associations dites constitutionnelles furent formées à Montréal et Québec pour contester le projet d’union et une pétition à ce sujet fut signée par plus de 60 000 Bas-Canadiens[33] ». Cette participation des habitants canadiens-français témoigne vraisemblablement de l’augmentation des tensions et par le fait même, de l’émergence d’un mouvement de contestation canadien-français. Enfin, le projet d’union n’aboutira pas, mais cette controverse « propulsa Papineau et Neilson à l’avant-plan de la politique coloniale et elle provoqua aussi la création du Parti patriote[34] » qui, concrètement, critique les inégalités économiques, les monopoles, la spéculation, le système aristocratique ainsi que le patronage[35].  

En 1827-1828, soit une décennie avant les insurrections armées, la situation atteint un point critique lorsque le gouverneur Lord Dalhousie décide de  mettre en place des moyens de coercitions ayant pour objectif de punir l’opposition canadienne-française. Cette lutte du Parti canadien contre Dalhousie aura eu pour effet de radicaliser ce groupe : « les politiciens les plus intransigeants du Parti canadien commencent à se désigner du nom de « patriotes » et à se considérer non pas seulement comme les défenseurs des droits et privilèges de l’Assemblée, mais aussi comme les porte-paroles d’une nation[36] ».  Ainsi, en adoptant le nom de patriotes, les radicaux du Bas-Canada s’associent, toujours selon l’idéologie nationaliste, à des dizaines de mouvements nationaux-démocrates de l’époque, de même qu’aux mouvements révolutionnaires américains, hollandais et français du siècle précédent. À bien des égards, leurs origines sociales et leur idéologie rappellent celles d’autres regroupements patriotiques dans d’autres parties du monde atlantique[37].

Qui plus est, la question seigneuriale est au cœur des nombreux débats. Les marchands anglais désirent fortement l’abolition du régime seigneurial puisqu’il serait, à leurs avis, un obstacle au progrès concernant la croissance commerciale et la colonisation[38]. Le concept féodal des lods et rente est perçu comme un fardeau pour les investisseurs qui doivent constamment verser des sommes aux seigneurs pour des transactions dans lesquelles ils ne sont pas concernés. C’est pour cette raison qu’un tel plan, connu sous le nom de Canada Tenures Act, est finalement adopté en 1825[39]. Cette question deviendra centrale dans les débats politiques et même sociaux. D’un point de vue social, des pétitions du milieu des années 1825 sont signées par un grand nombre de bas canadiens et cela témoigne du fait que la seigneurie est préférée à tout autre mode de tenure comme moyen d’accéder à la propriété terrienne, ainsi qu’à la prospérité et l’indépendance[40]. D’un point de vue politique, l’Assemblée demandera à trois reprises, soit en 1826, 1832 et 1834, l’abrogation de cette loi, mais le Conseil législatif s’y opposera[41]. Le climat politique est à son comble : les tensions sont cuisantes et la table est mise pour un programme politique patriote. 

            

La radicalisation du Parti patriote

Tel que nous l’avons constaté, les années 1820 ont été témoins d’un contexte politique houleux au Bas-Canada. Les éléments concernant les questions financières, le projet d’union, les luttes contre le gouverneur Dalhousie et la question seigneuriale ont contribué à la radicalisation du mouvement patriote. C’est cependant dans les années 1830 que cette radicalisation s’observe concrètement et mène directement aux Rébellions de 1837 et 1838. Selon l’historien Gérard Filteau dans son ouvrage Histoire des patriotes[42], la vie des Canadiens français en 1833 serait « sabotée » à plusieurs niveaux : constitutionnellement, bureaucratiquement, administrativement, économiquement et spirituellement. En réaction à ces problèmes politiques et sociaux, le Parti patriote, qui est désormais le « porte-parole » de la nation canadienne-française, dépose à l’Assemblée les 92 résolutions[43] en janvier 1834. Dans l’arène politique, cela à l’effet d’une onde de choc qui ne connaîtra son terme que sur les champs de bataille en 1837[44]. Les patriotes réclamaient dans ce document la « convocation d’une convention constitutionnelle qui permettrait au peuple bas canadien de se donner des institutions politiques républicaines, mais elles dénonçaient aussi la corruption du gouvernement colonial et énuméraient les abus de pouvoir de la clique de « bureaucrates » qui entourait le gouverneur[45] ». Ces résolutions sont le cœur principal du programme patriote qui propose des réformes dans tous les domaines, dont les principaux concernent le redressement de la politique nationale, la question seigneuriale ainsi que la perpétuité de la vie nationale canadienne-française dans une perspective d’épanouissement[46]. Forts de la Constitution de 1791, ils avaient posé comme article essentiel à leur programme : « les Canadiens doivent être maîtres chez eux, maîtres de leur Parlement, maîtres de leur politique intérieure, maîtres de leurs législations, maîtres de leur administration, maîtres de leurs écoles, maîtres des ressources naturelles du pays acquis par leurs ancêtres[47] ». Dans le contexte colonial de l’époque, les 92 Résolutionssont perçues comme radicales. Ce que nous pouvons constater avec ce document, c’est l’accumulation des mécontentements reliés à la scène politique et sociétale. 

Au cours de la décennie 1830 et après 1834 plus précisément, il y a une forte radicalisation du mouvement, car il devient clair pour les patriotes qu’ils ne pourront pas réaliser leurs programmes par une simple victoire électorale, même si elle leur assure une majorité à l’Assemblée depuis 1826[48].  Qui plus est, l’engagement croissant des radicaux envers les idéaux de la démocratie et de la citoyenneté républicaine les mène aussi sur la voie de la mobilisation du peuple. Par conséquent, on fonde des journaux, on crée des comités de correspondances, et les assemblées publiques de plus ou moins grandes envergures se succèdent à un rythme rapide[49]. Enfin, Londres réplique aux 92 Résolutions en février 1835 en annonçant la mise sur pied d’une commission d’enquête sur les griefs soulevés par la Chambre d’assemblée du Bas-Canada et exprimés dans les résolutions.  Une autre année passe et aucune progression ou décision officielle n’est proclamée. En février 1836, Papineau affirme que jamais l’administration britannique n’avait sérieusement compté obtempérer aux griefs formulés dans les 92 Résolutions[50]. À ce moment, la situation politique était encore très tendue, la question des subsides était toujours d’actualité et aucun compromis n’aboutissait. Finalement, la réponse officielle arrive le 10 avril 1837 alors que Londres dépose les 10 Résolutions Russel. Cela provoque un véritable émoi dans les cercles politiques. Du côté des patriotes, c’est l’élément déclencheur de la prise des armes. Auparavant, les différentes crises et discordes avaient fait monter les tensions entre le mouvement patriote et les autorités coloniales. Cependant, cette réplique de Londres, qui rejette en totalité les demandes du Parti patriote, met le feu aux poudres. Rapidement, des assemblées populaires s’organisent et les premières insurrections sont sur le point d’éclater. 

Conclusion

Pour comprendre les insurrections armées survenues au Bas-Canada en 1837 et 1838, il faut analyser l’histoire sur le temps long. Ces rébellions sont l’aboutissement de quarante ans de luttes, initialement politiques, qui se transmette dans la société basse canadienne. Avec l’Acte constitutionnel de 1791 et l’avènement du parlementarisme au Bas-Canada, le contexte politique invite à la formation de regroupements politiques qui se divise rapidement selon le clivage ethnique. Les représentants politiques des Canadiens français, initialement connus sous le nom de Parti canadien, puis patriote à partir de 1827 alors que les députés commencent à s’afficher comme étant des patriotes. En 1834, les camps sont fossilisés et le Parti patriote dispose d’un programme politique complet qu’il remet à Londres. Rapidement, les patriotes comprennent qu’ils n’auront pas gain de cause par la voie du parlementarisme. La prise des armes semble être la seule option encore disponible pour eux. Après plusieurs tentatives dans les quatre décennies précédant les insurrections, la situation semble figée. Au cours de ces années de luttes, les patriotes ont été témoins du parlementarisme truqué, de l’ingérence des autorités coloniales dans le milieu de la finance ainsi que dans leur système d’accès à la terre. Les crises politiques et sociales ont imprégné les années 1820 et 1830. L’augmentation des tensions et l’accumulation des déceptions politiques et sociales durant ces années ont dirigé le mouvement directement vers la voie de la violence. 

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1) Gilles Laporte, Patriotes et Loyaux. Leadership régional et mobilisation politique en 1837-1838, Québec, Septentrion, 2004, p.13.

2) Alan Greer, Habitants et patriotes : La rébellion de 1837 dans les campagnes du Bas-Canada, Montréal, Boréal, 1997, p. 115.

3) Louis-George Harvey, « Le Parti Patriote », Dans Bulletin d’histoire politique, vol. 23, n°2, hiver 2015, p.157.

4) Fernand Ouellette, Éléments d’histoire sociale du Bas-Canada, Montréal, Hurtubise HMH, 1972. p.256.

5) Sylvia Marzaglli, « Sur les origines de l’« Atlantique History » : paradigme interprétatif de l’histoire des espaces atlantiques à l’époque moderne ». Dix-Huitième Siècle, n °33, 2001, p. 18.

6) Harvey, « Le Parti patriote », p. 157. 

7) Olivier Guimond,  « Un seigneur patriote. Louis-Joseph Papineau confronté à l’abolition du régime seigneurial », Dans Revue Histoire de l’Université de Sherbrooke, vol 10, n°2, 2017, p. 197. 

8) Jean Lamarre. Le devenir de la nation québécoise selon Maurice Séguin, Guy Frégau et Michel Brunet (1944-1969). Septentrion, 1993, 568 p. 

9) Félix Bouvrier (dir.) et al.  L’école nationale à l’école québécoise. Septentrion, 2012, 552 p. 

10) Guimond,  « Un seigneur patriote. Louis-Joseph Papineau… », p. 192. 

11) Philippe Reid, « Le regard de l’autre. La naissance du nationalisme au Québec », Journal de l’Université de Toronto quarterly, été 2013, vol. 82, n° 3, p. 764. 

12) Ibid. 

13) Marzagalli, « Sur les origines de l’« Atlantic History » : paradigme interprétatif… », p. 18. 

14) Gilles Laporte, Brève histoire des patriotes, Québec, Septentrion, 2015, p. 34.

15) Ibid.

16) Robert Bothwell, Une histoire du Canada. Québec, Les presses de l’université Laval, 2009, p. 106. 

17) Ibid.

18) Harvey, Le Parti patriote, p. 157. 

19) Ibid.

20) Laporte, Brève histoire des patriotes, p.38. 

21) Ibid.

22) Greer, Habitants et patriotes, p.111.

23) Harvey, Le Parti patriote, p.158. 

24) Jean-Pierre Wallot, « CRAIG, sir JAMES HENRY », Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval, 1983. [En ligne], disponible sur http://www.biographi.ca/fr/bio/craig_james_henry_5F.html

25) Greer, Habitants et patriotes, p. 117.

26) Ibid. p. 111. 

27) Laporte, Brève histoire des patriotes, p. 42.  

28) Ibid.

29) Ibid.

30) Greer, Habitants et patriotes, p. 131. 

31) Ibid. p. 119. 

32) Michel Brunet, « Canada. Histoire et politique », [En ligne], disponible sur http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/encyclopedie/canada-histoire-et-politique/, p. 5. 

33) Harvey, Le Parti patriote, p. 159. 

34) Ibid.

35) Julien Mauduit, « L’économie politique des patriotes, entre capitalisme et socialisme », Bulletin d’histoire politique, vol. 25, n°2 (2017), p. 173 à 178. 

36) Greer, Habitants et patriotes, p. 119. 

37) Ibid. p. 120. 

38) Guimond, « Un seigneur patriote. Louis-Joseph Papineau… », p. 193.

39) Ibid. p. 196. 

40) Micheline Clément, « Le discours patriote : égalitarisme agraire ou projet de démocratie de petits producteurs », mémoire de maîtrise (histoire), Université de Québec à Montréal, 1984, p. 111-112.

41) Guimond, « Un seigneur patriote. Louis-Joseph Papineau… »,  p. 197. 

42) Gérard Filteau. Histoire des patriotes. Québec, Septentrion, 2003, 628 p. 

43) Le texte est disponible à l’adresse suivante : Les 92 résolutions : Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, 1834, sur le site de la Bibliothèque électronique [En ligne], http://beq.ebooksgratuits.com/pdf/92resolutions.pdf, consulté le 06 mars 2018. 

44) Gille Laporte, « Les patriotes et les 92 résolutions », dans Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière, dir., Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois. Tome 1, 1834-1968.  Montréal, VLP Éditeur, 2010, p. 27. 

45) Harvey, Le Parti patriote, p. 161.

46) Filteau, Histoire des patriotes, p. 120. 

47) Ibid. p. 121. 

48) Greer, Habitants et patriotes, p. 129. 

49) Ibid. p. 131. 

50) Laporte, Patriotes et loyaux, p. 24.

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