L’Atlas historique du Québec, Portraits de campagnes : la formation du monde rural laurentien au xviiie siècle, ratisse l’espace rural canadien sous une multitude de facettes. Il s’agit d’une étude d’histoire rurale portant sur les XVIIe et XVIIIe siècles, soit la phase initiale de la formation du monde rural laurentien. Dans son introduction, Laberge écrit que « cette recherche vise à préciser comment une société investit un espace. Elle cherche à définir les pratiques individuelles, familiales, collectives ou institutionnelles qui influencent l’occupation, l’aménagement et l’exploitation du territoire, la construction d’un paysage et d’un mode d’habitat[1] ». Pour s’y faire, son équipe et lui ont procédé à partir d’une morphologie spatiale différenciée, qui ferait ressortir les facteurs ainsi que les processus économiques et sociaux qui éclairent l’emprise au sol dans la vallée laurentienne à cette époque[2]. L’essentiel des données qu’ils ont recueillies pour mettre en place les nombreuses cartes, tableaux et schémas proviennent des aveux et dénombrements de 1725. La première partie de l’étude consiste à la reconstitution du paysage seigneurial. « La présentation des caractéristiques de l’espace seigneurial précède l’analyse des processus d’occupation et d’exploitation du territoire rural[3] ». La deuxième partie de l’ouvrage s’attache plutôt à la situation des principaux intervenants du monde rural, les seigneurs et les censitaires. « Ces deux perspectives complémentaires, mises en relief par une cartographie originale, aboutissent à tracer un portrait dynamique d’un univers spatial, social et mental qui reste à mieux connaître[4] ».
Dans la première partie, Le paysage seigneurial, nous ressentons que l’auteur accorde nettement plus d’importance, si nous le comparons à l’étude The Seigneurial System in Early Canada. A Geographical Studyd’Harris par exemple, au rôle qu’a joué le régime seigneurial dans le processus d’occupation et d’exploitation du territoire. Laberge écrit que « le paysage seigneurial symbolise le mode de vie principal au Canada sous le Régime français. Il illustre la façon dont une majorité de la population, aux origines françaises, a investi le territoire colonial. L’inscription spatiale de l’aire seigneuriale dans la vallée du Saint-Laurent traduit une première facette du processus d’emprise au sol et de la formation d’un écoumène rural. Les expressions spatiales de cet écoumène résultent de deux opérations fondamentales qui ont modelé le paysage : l’occupation et l’exploitation de territoire[5] ». Les trois chapitres de cette première partie abordent, d’abord, le territoire seigneurial puisqu’il précède l’occupation. Ensuite, l’occupation, et finalement, dans un troisième chapitre qui traite surtout de la superficie exploitée, de l’exploitation du territoire seigneurial. Ce que l’étude démontre au travers de ces trois chapitres, c’est « l’extrême diversité des situations rencontrées[6] ». L’historien souligne que « le paysage seigneurial de 1725 se trouve finalement à refléter l’empreinte d’un processus différencié de concession, d’occupation et d’exploitation du territoire laurentien qui s’est graduellement mis en place depuis les années 1620-1630. Le résultat de ces opérations, à la fois successives et parallèles, nous met en présence d’une véritable mosaïque seigneuriale dans laquelle jouent des hiérarchies de taille, de forme et surtout d’intensité qui distinguent les entités du paysage à toutes les échelles, gouvernements, régions et seigneuries. Rien ne serait plus éloigné de la réalité que d’affirmer que la vallée du Saint-Laurent constitue un paysage uniforme sous le Régime français[7] ».
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Seigneurs et censitaires de la vallée du Saint-Laurent, Laberge met l’emphase sur le fait que les seigneurs se posent en acteurs de premier plan dans le processus de formation des campagnes laurentiennes. Il nous dit que puisqu’ils « sont propriétaires et gestionnaires des unités territoriales à partir desquelles se fait la distribution du sol laurentien, leur situation leur donne la possibilité d’intervenir dans l’aménagement de leurs fiefs et d’influencer le rapport à la terre[8] ». Le quatrième chapitre traite de la propriété seigneuriale globalement, tandis que le cinquième chapitre analyse les seigneurs et leurs seigneuries. Quant au sixième chapitre, il traite des censitaires et de leurs censives. De manière générale, ses trois chapitres démontrent que « le dynamisme interne du développement du monde rural laurentien tire son énergie de l’action simultanée des seigneurs et de leurs censitaires. Ce sont ces deux groupes d’acteurs qui, ultimement, contribuent chacun à leur façon à humaniser le territoire rural et à en faire un paysage tel qu’il nous est apparu tout au long de la première partie de cette étude[9] ». Laberge précise toutefois que ces gestes convergents ne reposent pas sur les mêmes préoccupations fondamentales et qu’il ne s’agit pas de remettre à l’honneur l’entraide mutuelle entre seigneurs et censitaires que Marcel Trudel avait mis de l’avant de ces études. Il nous dit qu’au contraire, « il importe d’insister sur le caractère distinct des motivations et aspirations des uns et des autres. Que ce soit du côté des seigneurs ou de celui des censitaires, il est certain que la notion d’enjeu est présente et que, de part et d’autre, c’est à coup d’investissements de toute nature que l’on parvient à la mettre en valeur[10] ».
1) Alain Laberge (avec la collaboration de Jacques MATHIEU et Lina GOUGER), Portraits de campagnes : la formation du monde rural laurentien au xviiie siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, p. 1.
2) Ibid.
3) Ibid., p.5.
4) Ibid.
5) Ibid., p. 7.
6) Ibid., p. 73.
7) Ibid.
8) Ibid., p. 75.
9) Ibid., p. 137.
10) Ibid.
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