Comprendre les rapports sociaux et économiques dans le Québec préindustriel à travers le prisme du colonialisme

Le Canada contemporain est la concrétisation d’un projet colonial qui s’est mis en place, développé et transformé au cours des quatre derniers siècles. La société québécoise préindustrielle, presque exclusivement établie sur le territoire de la vallée du Saint-Laurent, est la genèse de ce vaste État qui s’étend maintenant de l’atlantique au pacifique. Selon les époques et les contextes géopolitiques, le territoire s’est vu accoler de nombreux titres officiels : Nouvelle-France, Province of Quebec, Bas-Canada, Canada-Est et Québec. Au-delà de ces appellations changeantes, les structures sociales et économiques qui ont caractérisé cette société du début du XVIIe siècle au milieu du XIXe doivent être interprétées à travers le prisme du colonialisme. Cette colonie d’exploitation et de peuplement a produit des rapports socioéconomiques complexes entre trois grandes catégories d’acteurs : les colonisateurs, les colons ainsi que les colonisés. Les colonisateurs, qu’ils soient Français ou Britanniques, sont les garants du projet colonial. Ils ont structuré sa mise en place et son développement, l’ont financé et se sont assurés de garder la mainmise sur les organes du pouvoir. Monarques, seigneurs, intendants, gouverneurs, évêques, missionnaires et magistrats, tous ont contribué au façonnement « par le haut » de cette colonie. Les colons, ces engagés, marchands, soldats, artisans et laboureurs, sont la main-d’œuvre de cette entreprise coloniale. Ils participent à la colonisation, mais n’en sont pas les instigateurs ni les principaux bénéficiaires. À l’instar des colonisés, qui sont les Premières Nations, mais également les Canadien-français après 1760, ils doivent composer, dans un rapport de force qui les désavantage, avec les éléments structurants et autoritaires du colonialisme. À partir de moyens à leurs dispositions, ils ont également concouru au façonnement de cette colonie. Il s’agira dans le texte qui suit de montrer comment l’historiographie a contribué à l’étude de ces rapports coloniaux dans les structures sociales du Québec préindustriel. D’abord, la première section rendra compte de la production historiographique sur l’évolution des relations entre les colonisateurs et les populations autochtones présentes sur le territoire. Ensuite, il sera question de la mise en place, du maintien et des transformations d’une société d’ordre d’Ancien régime. L’état des connaissances historiques sur la famille paysanne, « épine dorsale de la société[1]», et la seigneurie, microcosme du Québec préindustriel, seront présentés. 

Le contexte nord-américain : composer avec la présence autochtone

S’il est maintenant bien connu par la communauté historienne que les « découvreurs de l’Amérique[2] » ne sont pas les premiers à s’être aventuré dans les eaux du golfe du Saint-Laurent, voire à l’intérieur du fleuve et sur ses berges[3], l’établissement permanent de populations européennes sur le territoire laurentien est quant à lui le projet des autorités coloniales françaises[4]. Si les pêcheries ont « permis aux Français de se familiariser avec les mers et les côtes du nord-est de l’Amérique du Nord[5] », ce sont les pelleteries qui ont stimulé et entrainé le projet colonial à l’intérieur du continent. Dans son appropriation du territoire, la monarchie française, de Henri IV à Louis XIV, transpose sur sa nouvelle colonie les structures sociales et économiques qui garantissent l’ordre à la même époque dans la France d’Ancien régime : une monarchie de droit divin, une hiérarchie sociale prédéfinie basée sur des privilèges, la seigneurie, le féodalisme, le droit coutumier, l’Église catholique ainsi que la famille patriarcale. Bien implantés au début du XVIIIe siècle[6], ces éléments sont la manifestation tangible du pouvoir structurant mise en place par les colonisateurs français.

Toutefois, comme l’a démontré l’historiographie, si les autorités coloniales ont tenté de transposer le modèle européen d’une société d’Ancien régime dès le début du XVIIe siècle, ils ont été contraints de s’adapter au contexte particulier de l’Amérique du Nord. En plus du climat et des ensembles physiographiques propres au continent[7], l’une des réalités avec laquelle ils ont dû composer est celle de la présence autochtone. Contrairement à la perception longtemps mise de l’avant dans le courant historiographique « négationniste[8] », le territoire n’était pas « vierge ». Les Premières Nations, présentent depuis 600 générations[9], ont joué un rôle important dans les rapports sociaux et économiques qui ont eu lieu dans la vallée laurentienne durant toute la période préindustrielle, notamment au XVIIe siècle. Elles ont à la fois collaboré[10], participé et résisté à cette entreprise coloniale[11]. L’historiographie atteste qu’au départ, les rapports de forces ne sont pas défavorables aux Autochtones et que « la domination européenne n’était pas assurée[12] ». La première moitié du siècle est une époque de rencontres, de contacts culturels et commerciaux[13], d’alliances et de concessions. Brian Young et John A. Dickinson écrivent que « jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les Européens, très minoritaires sur le continent, durent adapter au caractère indépendant et à l’autonomie des autochtones leurs façons de faire la guerre et le commerce[14] ». Si les colonisateurs tentent d’instaurer les structures sociales de la France d’Ancien régime dans la vallée du Saint-Laurent au début du siècle, les moyens sont limités et les contraintes nombreuses. En raison d’un nombre restreint de colons[15], d’une occupation embryonnaire du territoire et du manque de ressources militaires pour défendre les secteurs revendiqués[16], les colonisateurs ne sont pas en mesure d’imposer une autorité ferme sur les populations autochtones et le territoire. 

Par conséquent, comme l’a démontré Maxime Gohier, les autorités coloniales françaises ont dû mettre en place une « politique de médiation » qui se caractérise par une alliance et un respect mutuel entre les Français et plusieurs nations autochtones, dont les Hurons-Wendats[17]. « Dans la culture politique de l’Ancien régime, écrit-Gohier, la pratique de la médiation était considérée comme une importante source de “prestige” pour un monarque, lui permettant d’établir une certaine domination auprès de ses alliés. En reprenant cette politique à leur compte, les gouverneurs français en Amérique cherchaient eux aussi à asseoir l’hégémonie française auprès des Amérindiens[18] ». Par conséquent, l’objectif des colonisateurs était de renverser le rapport de force en leur faveur, laquelle situation occasionnerait un meilleur contrôle du territoire et de ses ressources[19]. Pour y arriver, ils ont déployé énergies, moyens et capitaux[20]. À titre d’exemple, l’historiographie souligne que les missionnaires ont joué un rôle important dans le processus de domination coloniale des Premières Nations. Jean-François Lozier a démontré le rôle central des missions dans les relations diplomatiques avec les populations autochtones[21]. Serge Courville écrit que ce sont les missionnaires qui « furent véritablement les premiers explorateurs et les premiers découvreurs du continent. Leur but est spirituel, mais ils sont aussi souvent mandatés par les autorités pour prendre possession des nouveaux territoires au nom de Roi de France et pour nouer des contacts commerciaux avec les Amérindiens. De plus, ils exécutent des missions diplomatiques, ce qui les rend à la fois agents de liaison, informateurs et conseillers pour le compte des autorités coloniales[22] ». Les missionnaires font « partie intégrante du système d’expansion coloniale mis en place par le mercantilisme français des XVIIe et XVIIIe siècles[23] ». Ainsi, les colonisateurs, dont les principaux représentants sont les missionnaires et le gouverneur, sont les premiers à initier et mettre en place des rapports sociaux et commerciaux avec les populations autochtones dans la vallée du Saint-Laurent au XVIIe siècle.

En ce qui concerne le rapport de force entre les autorités coloniales et les Premières Nations, l’historiographie s’entend sur le fait que le « premier grand tournant de l’après-contact avec les Européens survient lors du bouleversement démographique et économique provoqué par la disparition des Hurons, en 1650[24]». À la suite des effets dévastateurs des épidémies et des guerres contre les Iroquois[25], le rapport de force change en faveur des colonisateurs français. Avec l’avènement du gouvernement royal en 1663 sous Louis XIV et son ministre de la Marine, Jean-Baptiste Colbert, la colonie connaît un développement considérable. Entre autres, l’arrivée du régiment Carignan-Salière sécurise la colonie contre les invasions iroquoises et celle des Filles du roi permet aux colons de se marier et de s’établir de manière permanente sur le territoire[26]. De ce moment jusqu’à la Conquête un siècle plus tard, une société préindustrielle basée sur les structures sociales de la France d’Ancien régime prend forme et se développe au détriment du modèle autochtone qui était présent un siècle plus tôt. 

Un autre grand tournant identifié par l’historiographie est l’avènement du régime anglais. Alain Beaulieu et Maxime Gohier observent une modification significative des rapports entre Amérindiens et colonisateurs avec la Proclamation royale de 1763 et la mise en place du Département des Affaires indiennes par les Britanniques. Si les intentions déclarées étaient de « protéger » les Autochtones, les études témoignent qu’il y a eu de nombreuses discordances entre les discours et la pratique. Selon Gohier, « l’objectif du Département des Affaires indiennes était moins de “protéger” réellement les Amérindiens que d’assurer le maintien de son autorité auprès d’eux[27] ». Sous le régime anglais, l’historiographie atteste du développement d’une politique indienne proprement britannique qui a constamment « cherché à exercer une forme de tutelle sur les Amérindiens, tutelle qu’ils s’efforçaient de légitimer en fonction des idéologies en vogue dans les métropoles et en présentant les Amérindiens comme des individus ayant besoin d’être maîtrisés[28] ». Au XIXe siècle, sous l’idée d’un « projet de civilisation[29] », la dépossession territoriale des Autochtones qui avait été entamée sous le régime français se concrétise alors que les populations autochtones restantes sont confinées dans des espaces plus restreints : les réserves[30]. Certaines études récentes, engagées dans la défense des droits et de l’identité culturelle des Premières Nations, critiquent fortement les actions des colonisateurs français et britanniques durant l’époque préindustrielle[31]. Enfin, l’historiographie fait plutôt consensus : durant la période préindustrielle, une société d’Ancien régime basé sur le modèle européen a remplacé le modèle de « confédération[32] » des Premières Nations.  D’autres institutions, structures sociales et rapports socioéconomiques hérités du Vieux continent se sont installés dans la vallée du Saint-Laurent. La famille paysanne, par exemple, est un aspect qui reflète bien cette nouvelle société. 

La famille paysanne

L’« épine dorsale » de la société agricole préindustrielle 

De sa formation en tant que discipline académique au XIXe siècle jusqu’au début du XXsiècle, l’histoire était presque exclusivement événementielle[33]. Dans l’intention de légitimer l’identité nationale canadienne-française, l’histoire politique québécoise a construit un récit au sein duquel sont mis de l’avant les « héros nationaux » ainsi que les dates jugées importantes dans la légitimation de l’État-nation[34]. Bien qu’elles présentent des événements politiques majeurs, ces dates reflètent seulement le « temps court » et elles ne rendent pas compte en elles seules de la complexité des dynamiques qui ont eu lieu à l’intérieur des structures sociales du Québec préindustriel. Derrière elles se cache une toile de fond. Comme l’a écrit Fernand Braudel, observer un phénomène dans le temps long permet d’identifier des « structures » et de nous éloigner du « piège de l’événement[35] ». Influencée par les historiens de l’École des annales en France tels que Lucien Febvre, Marc Bloch et Fernand Braudel, l’approche de l’histoire sociale québécoise a été au-delà des « événements » pour comprendre cette toile de fond du social et de l’économique[36]. Les études effectuées sur la famille paysanne représentent un exemple flagrant de cette contribution historiographique. La famille agricole se trouve aux antipodes de l’élite nobiliaire, des seigneurs, des officiers militaires, des intendants et tous autres acteurs coloniaux qui ont intéressé les tenants de l’histoire politique. Elle est pourtant décrite par certains comme « l’épine dorsale[37] » de la société québécoise préindustrielle. Comprendre son fonctionnement ainsi que son évolution, c’est concevoir comment les colons, qui sont devenus des habitants, ont vécu et se sont approprié leur expérience coloniale. Surtout, c’est comprendre les rapports sociaux et économiques de la catégorie démographique la plus importante de la colonie : les habitants[38]. Selon Allan Greer, cinq critères caractérisent les paysans canadiens : ce sont des agriculteurs à petite échelle, ils sont majoritairement autosuffisants, ils disposent de moyens de production, leurs familles sont essentielles à leurs survies et, finalement, ils sont dominés et exploités[39]. 

À partir du milieu du XVIIe siècle dans la vallée du Saint-Laurent, après l’effondrement social et politique de la confédération huronne, la croissance de l’agriculture et l’arrivée importante de colons concordent avec « la naissance d’une société agricole préindustrielle[40] ». Encadrée par l’Église catholique – mariages[41] – et la Coutume de Paris – autorité maritale, règles matrimoniales et pratiques successorales[42] –, la famille paysanne est l’un des éléments structurants les plus importants de cette société. L’historiographie a bien démontré cette réalité. Plusieurs études attestent du fait que la famille représente la cellule de base des communautés qui occupent les terres de la vallée du Saint-Laurent durant toute la période préindustrielle. Elle remplit un rôle de premier plan dans la cohésion sociale et économique. Les historiens et historiennes ont très tôt mis de l’avant le rôle important de la structure familiale dans le processus de colonisation et d’appropriation des terres. En 1947, Séguin soulignait déjà l’importance des familles paysannes dans le développement agricole de la colonie[43]. En 1974, Louise Dechêne va également dans ce sens. Elle observe que le modèle de la « famille conjugale de l’Europe occidentale[44] » était largement majoritaire en Nouvelle-France et que c’est sous ce modèle que « l’occupation du sol[45] » s’est produite. Rapidement, comme l’a écrit Fernand Ouellet, « la famille apparaît comme l’institution de base[46] » de l’Ancien Régime social.

L’historiographie a également démontré le rôle de premier plan de la famille agricole patriarcale dans le processus de sociabilité, de production et de consommation domestique. Young et Dickinson écrivent que « c’est la famille patriarcale, plutôt que l’individu, qui était au centre des relations sociales et économiques[47] » et qu’elle était « l’unité économique de base[48] ». Allan Greer considère qu’« ici, davantage que dans la plupart des sociétés rurales, la famille était l’unité fondamentale de la production agricole[49] ». Selon Colin Coates, l’économie agricole durant les XVIIIe et XIXe siècles, « centrés avant tout sur la production et la consommation domestiques[50] », est portée par les familles rurales. Ainsi, l’historiographie a bien démontré que la famille paysanne représente un lieu de solidarité, qu’elle régit le cadre de vie des individus qui la composent et, dans bien des cas, qu’elle constitue simultanément une unité de vie et une unité de production. Elle est au cœur de l’identité des individus. En plus d’en être le cadre, elle est garante de la reproduction sociale et elle s’assure du maintien de ce modèle dans la longue durée. Elle est l’institution de base dans le processus de colonisation de la vallée du Saint-Laurent durant toute la période préindustrielle. Sans elle, le peuplement colonial n’est pas possible. 

La reproduction familiale

Dans le siècle qui suit le changement d’Empire, l’accroissement naturel de la population et l’immigration britannique amènent une occupation plus dense du territoire. Les seigneuries, même les plus éloignées comme celles du Bas-Saint-Laurent[51], se remplissent et de nouveaux espaces, tels que les Cantons-de-l’Est et le Saguenay-Lac-Saint-Jean, sont ouverts à la colonisation. Alors que certains ont étudié la reproduction familiale dans ce contexte chez l’élite canadienne[52], d’autres se sont concentrés sur la paysannerie. En raison de ce que Gérard Bouchard nomme un « système ouvert[53] », la reproduction familiale basée sur le modèle de l’exploitation agraire a été possible au Québec des débuts de la colonisation jusqu’à bien après l’arrivée de l’industrialisation au milieu du XIXe siècle[54]. « Les terroirs neufs de l’Amérique du Nord[55] » ont permis aux familles agricoles patriarcales de reproduire, de générations en générations, le modèle de relations sociales et économiques présentées dans la section précédente. De nombreuses contributions ont étudié ces mécanismes. Colin Coates considère que la famille « fournit le cadre à l’intérieur duquel les gens ont mis au point leurs stratégies économiques et sociales et ont tenté d’assurer la stabilité d’une génération à l’autre[56] ». Gérard Bouchard a démontré, dans un essai d’histoire sociale sur la colonisation au Saguenay, que les objectifs de la reproduction familiale dans le Québec préindustriel étaient d’assurer la sécurité des parents durant la vieillesse, de préserver l’intégrité d’un patrimoine familial, de garantir la survie de la lignée, d’établir le maximum d’enfants sur des terres et d’augmenter le niveau de vie de la famille[57]. Qui plus est, Bouchard a postulé qu’il existait dans le processus de reproduction familiale un « fardeau familial[58] » : les objectifs visés par les familles et les règles de transmission ne favorisent pas l’accumulation d’un capital paysan. Un constat également mis de l’avant par Maurice Séguin et Allan Greer[59]. L’orientation socioéconomique des familles est axée sur une rationalité de reproduction davantage que de production[60]. La famille paysanne du Québec préindustriel a « pour principale logique de fabriquer des clones d’elle-même[61] ».

L’historien Christian Dessureault, qui est reconnu pour ses études sur les inégalités sociales, a également étudié les mécanismes fins qui régissent la reproduction familiale dans le Québec rural des XVIIIeet XIXe siècles[62]. À l’instar de Bouchard et des autres, Dessureault a démontré que l’exploitation familiale est « une unité de production et de consommation qui assume elle-même sa propre reproduction[63] ». L’une des contributions historiographiques majeures de Dessureault concerne le mythe de « l’égalitarisme paysan » et la question de la « reproduction sociale dans la différence[64] ». Si les mécanismes de reproduction familiale rendent difficile l’accumulation de capital chez les familles paysannes, comme l’ont démontré Séguin, Greer et Bouchard, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’inégalité au sein de celles-ci. « La paysannerie canadienne ne forme pas une masse indistincte relativement égalitaire et tissée serrée; elle constitue, au contraire, un groupe hétérogène[65] ». Ainsi, les familles paysannes se distinguent par leurs niveaux de fortune et leurs rapports à la production. Il existe une hiérarchie entre elles. Qui plus est, l’historiographie atteste qu’il y a également une hiérarchie basée sur le genre au sein de ces mêmes familles. Les règles successorales et les mécanismes de reproduction familiale engendrent, notamment au XIXe siècle, une inégalité entre les filles et les garçons. Gérard Bouchard écrit que « l’ombre au tableau vient au traitement réservé aux filles, à qui on ne transmettait presque jamais de terre[66] ». Sylvie Dépatie va également dans ce sens. Elle écrit qu’« il est clair que les filles sont les grandes perdantes de l’évolution des modalités de transmission[67] ».

Inégalité de genre

Au XVIIIe, mais surtout au XIXe siècle, le poids des structures sociales de l’Ancien régime pèse, à quelques exceptions près, sur la situation des femmes. L’historiographie fait preuve que cela n’a pas toujours été ainsi. Nous l’avons constaté, le contexte nord-américain a amené de nombreuses adaptations. La présence de populations autochtones ainsi que le « système ouvert » ont créé des réalités différentes de ce qui s’observait en France à la même époque. La situation est similaire pour le rôle des femmes dans la famille et la société. Au XVIIe siècle, la société française d’Ancien régime était beaucoup plus rigide que celle de la Nouvelle-France. Le mariage était « la destinée naturelle des femmes, vouées autrement à la vie religieuse ou au sort peu enviable de célibataires[68] ». Si cela correspond au modèle que les autorités coloniales françaises désirent mettre en place au début du peuplement colonial, la réalité a été différente. Si l’histoire sociale s’est intéressée au rôle des femmes dans les familles, l’historiographie féministe, qui s’est développée dans les cinquante dernières années[69], a fortement contribué à l’approfondissement de nos connaissances sur le rôle des épouses, des mères, des célibataires, des veuves et des procuratrices dans la société. 

L’ouvrage L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles du collectif Clio, composée de pionnières en histoire des femmes au Québec[70], représente un point tournant dans l’historiographie sur le genre. Dans cet ouvrage, elles ont démontré que deux grandes périodes ont caractérisé la situation des femmes au Canada au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. La première est l’étape du « sous-développement » de la colonie durant le XVIIe siècle. « Aussi longtemps que la colonie s’est trouvée dans un état de sous-développement, écrivent-elles, les femmes ont donc bénéficié d’une relative indépendance[71] ». Durant cette période, s’il est vrai qu’elles stabilisent la société en contribuant à l’institution familiale, les femmes ne sont pas seulement des épouses et des mères. Elles ont participé à presque toutes les occupations sociales[72]. Elles font fonctionner des petits commerces, elles s’occupent de l’assistance sociale (charité publique, secours aux pauvres, vieillards, aux invalides, aux malades, aux fous, aux prisonnières, aux prostitués, aux orphelins, etc.) ainsi que de la fondation spirituelle et matérielle de la colonie[73]. Ainsi, les débuts de la période coloniale ont engendré une situation exceptionnelle pour les femmes. « On s’attend à ce que les femmes outrepassent les limites qui leur sont culturellement imposées. Parce qu’on a besoin d’elles, des femmes se font fondatrices, marchandes, guerrières, administratives, missionnaires. Parce qu’on a un pays à ouvrir, des centaines de femmes “propres au travail comme des hommes” apprennent le dur métier de défricheur, tout en peuplant la colonie[74] ».

D’autres historiennes ont contribué à notre compréhension de l’histoire des femmes et de la famille durant les débuts du peuplement colonial. France Parent et Geneviève Postolec ont par exemple brossé un portrait du rapport de pouvoir entre le genre et le droit dans la Prévôté de Québec en 1686. Un rapport qui peut s’étendre à l’ensemble de la colonie de la Nouvelle-France au XVIIe siècle. Parent et Postolec analysent la Coutume de Paris et son rôle dans l’encadrement des rapports sociaux : communauté de biens, puissance maritale, relative incapacité juridique de la femme mariée, protection des intérêts familiaux et égalité entre les héritiers[75]. Les autrices démontrent que les femmes marchandes, les femmes en séparation de biens ainsi que les procuratrices bénéficient d’un statut juridique différent qui atteste que « la pratique judiciaire laisse entrevoir une certaine flexibilité de la loi à l’égard des femmes[76] ». Qui plus est, les historiennes démontrent non seulement que les femmes sont très présentes aux audiences de la cour de justice[77], mais aussi qu’elles participent aux stratégies d’établissement des familles, successorales et au maintien des intérêts économiques des communautés conjugales[78]. Les autrices concluent toutefois en écrivant que « si la pratique juridique démontre une certaine capacité des groupes familiaux à s’adapter aux circonstances économiques et sociales en vue d’établir les enfants et de protéger les héritages, les femmes se voient tout de même contraintes de vivre dans un cadre social dans lequel l’inégalité des sexes perdure[79] ». Elles ajoutent que « le régime d’autorité maritale demeure la pierre angulaire sur laquelle s’édifient les relations entre les hommes et les femmes à l’intérieur de la vie conjugale[80] ». Le cadre légal du mariage, qui émane de la Coutume de Paris, limite les possibilités des femmes dans la société. 

Aux XVIIIe et XIXe siècles, les femmes reçoivent une éducation qui les conditionne aux codes culturels de leur sexe et elles sont de plus en plus reléguées au travail domestique – nourriture, habillement, idéal familial – [81]. Du moment que les structures de la colonie sont bien en place – institutions, commerces, routes, lieux spirituels, paroisses et villes –, les femmes sont privées de plusieurs libertés individuelles et le patriarcat affecte leur autonomie[82]. Sans l’autorisation maritale, elles ne peuvent accomplir aucun acte légal ni se lancer en affaires. La domination du mari sur les biens familiaux est absolue. Néanmoins, comme l’a démontré le Collectif Clio, lorsqu’on compare la Coutume de Paris, qui est resté le cadre de lois civiles du Québec après la Conquête, au Common Law qui régit les immigrantes du Haut-Canada à partir de 1791, « la situation des femmes d’ici paraît très favorable. La Coutume de Paris favorise les créances de la femme et des enfants par rapport à celles des créanciers ordinaires, et leur donne le même droit de racheter certains biens de la famille vendus aux étrangers[83] ». Qui plus est, puisque « la loi électorale adoptée en 1791 ne tient pas compte des particularités des régimes matrimoniaux en vigueur dans la seule colonie britannique en Amérique du Nord où prévaut le droit civil français[84] », les femmes québécoises qui possèdent une propriété foncière peuvent voter jusqu’au moment de l’abolition du suffrage féminin en 1849. Enfin, ce qu’il est possible de constater dans l’historiographie, c’est que l’établissement d’une colonie en Amérique du Nord à concorder avec plusieurs adaptations et situations particulières, mais qu’après deux siècles, les structures sociales héritées de la France d’Ancien régime ont prévalu et se sont renforcé. Cela a été le cas pour la famille agricole patriarcale, mais également pour l’institution seigneuriale qui représente un microcosme de l’expérience colonial du Québec préindustriel. 

L’institution seigneuriale : un microcosme du Québec préindustriel

Régime français (1608-1760)

Jusqu’à présent, nous avons reconstitué un portrait sélectif des contributions historiographiques qui ont démontré les particularités québécoises dans la mise en place, le maintien et les transformations d’une société d’Ancien régime. Analysons maintenant un exemple très concret qui reflète, à l’image d’un microcosme, les rapports sociaux et économiques de la société québécoise préindustrielle. Puisque « la seigneurie a précédé tout le reste[85] », comme l’a écrit Louise Dechêne en 1974 en référence au peuplement français en Amérique, ce sont les vastes contributions historiographiques sur le régime seigneurial canadien qui seront au cœur cette dernière section. L’institution seigneuriale représente un terrain d’enquête intéressant pour comprendre la société québécoise préindustrielle puisqu’il a existé, à l’intérieur de ces cadres, à la fois des rapports sociaux et économiques entre colonisateurs, colons et colonisés. La seigneurie a été l’un des instruments « de la mise en valeur de l’espace laurentien et [elle s’inscrit] dès lors au cœur du processus de colonisation[86] ». Dans l’historiographie, bien avant Dechêne et même après, on s’intéresse au régime seigneurial, à sa nature et au rôle qu’il a joué dans le processus de colonisation.

Les premiers historiens à s’intéresser au régime seigneurial sous le régime français, avec François-Xavier Garneau en tête d’affiche[87], ont fait l’apologie d’une institution épurée des éléments négatifs qui lui était associé en France à la même époque[88]. Tant du côté anglophone que francophone, cette tendance historiographique « traditionnelle » a présenté les structures seigneuriales comme complaisantes pour les colons. La seigneurie canadienne n’aurait occasionné aucun fardeau pour les censitaires. Les rapports sociaux et économiques entre seigneurs et censitaires auraient été harmonieux[89]. Cette vision a été nuancée, voire déconstruite depuis les années 1960. Actuellement, nous savons qu’au-delà du fait que le régime seigneurial est un mode d’organisation de l’espace, il est aussi « la manifestation tangible d’une société hiérarchisée[90] ». Dans son essence, écrit Benoît Grenier, « le régime seigneurial implique une relation fondée sur l’inégalité : un chef (le seigneur) et des subalternes (les censitaires), entre lesquelles existe un lien d’assujettissement qui se manifeste par des limites dans la propriété du sol[91] ». Il existe par conséquent, à l’intérieur des cadres de la seigneurie, des rapports sociaux inégalitaires qui sont accompagnés par des rapports économiques tout aussi inégalitaires. 

L’étude de Louise Dechêne évoquée plus haut est l’une des premières à présenter le régime seigneurial comme un système d’exploitation féodal, rigide et envahissant pour les censitaires[92]. Si elle atteste qu’au début de la colonisation, « les seigneurs n’exigeaient à peu près rien de ceux qui n’avaient rien[93] », elle précise néanmoins que l’institution a évoluée et qu’à « mesure que le peuplement et la mise en valeur progressent, le régime cherche à tirer parti du tous les droits conférés par la coutume[94] ». Dès que les seigneuries commencent à se peupler, les droits seigneuriaux sont « rigoureusement perçus[95] ». Dechêne marque une rupture importante dans l’historiographie, car elle est l’une des premières à démontrer que les censitaires n’ont pas profité du régime seigneurial, mais qu’ils auraient au contraire subi la lourdeur de ses cadres. Selon elle, la seigneurie canadienne serait « contraignante » et les censitaires l’auraient « subi » avec « autant de mauvaise grâce que les paysans français[96] ».

Allan Greer a également défendu une vision sévère envers l’institution seigneuriale sous le régime français. Il l’a critiqué sous tous ses angles. Les monopoles issus des privilèges seigneuriaux, qu’il décrit comme un « fardeau féodal », auraient limité les actions des paysans tout en étant un obstacle à l’accumulation du capital pour ceux-ci[97]. Mis en place et maintenu par le « pouvoir d’un État absolu », la relation entre seigneurs et censitaires aurait essentiellement été une « de sujétion et d’exploitation[98] ». Selon Greer, « les paysans ont été pris au piège, avant tout parce qu’ils étaient soumis à l’autorité de leurs propres exploiteurs[99] ». Le régime seigneurial n’aurait été qu’un « système » oppressif du point de vue des rapports sociaux et limitants pour les paysans d’un point de vue économique[100]. D’autres vont également mettre l’emphase sur les inégalités sociales issues du régime seigneurial qui se manifestent par l’exploitation économique des paysans via les prélèvements seigneuriaux. Par exemple, Sylvie Dépatie, Christian Dessureault et Mario Lalancette écrivent que la seigneurie au Canada est avant tout « un système de prélèvement sur la production paysanne[101] ». Thomas Wien et Benoît Grenier ont également démontré que la paysannerie canadienne était particulièrement exposée à l’arbitraire seigneurial[102].

Ainsi, sous le régime français, l’évolution de la seigneurie se fait au diapason de celle de la société coloniale. Au début du XVIIe siècle, période pionnière de la colonisation dans la vallée du Saint-Laurent, la puissance de l’autorité seigneuriale était plus modérée qu’en France[103]. Dans la perspective de l’offre et de la demande, la grande accessibilité des terres favorisait considérablement les colons puisqu’elle incitait les seigneurs à assouplir leurs exigences. Les seigneuries, pour être rentables, doivent être peuplées. Toutefois, cette réalité a été éphémère. Une fois la colonisation bien entamée, les seigneurs n’ont pas tardé à imposer une forme d’arbitraire seigneurial similaire à ce qui s’observait en France à la même époque. Cette observation concorde avec l’affermissement des structures sociales implantées dans la colonie. À l’instar de la société d’ordre française, la seigneurie devient un lieu au sein duquel se manifestent des rapports sociaux inégaux entre les représentants des autorités coloniales, les seigneurs, et les acteurs du processus de colonisations, les censitaires. Qui plus est, ce rapport inégalitaire se manifeste d’un point de vue économique, alors que les privilèges des seigneurs, régis par la Coutume de Paris, leur permettent de ponctionner une partie importante de la production paysanne. Ainsi, l’historiographie traitant des rapports socioéconomiques qui se sont manifestés à l’intérieur des cadres de la seigneurie durant le Régime français reflète l’essence, l’évolution et l’adaptation des structures sociales en place dans la société du Québec préindustriel. 

Régime anglais (1763-1854)

La Conquête militaire du Canada par les Britanniques en 1759-1760 marque un point tournant dans l’évolution de la société. Cette défaite des forces locales et françaises a occasionné un changement de régime et introduit des modifications considérables sur les plans politiques et juridiques[104]. La colonie de la Nouvelle-France, qui est « une société à part entière, de langue française et de religion catholique, dotée de ses propres institutions sociales, économiques, administratives et politiques[105] », passe d’un régime monarchique de droit divin à une monarchie constitutionnelle[106]. L’institution seigneuriale, mise en place par les colonisateurs français au début du siècle précédent, garde son statut officiel. Les nouvelles autorités coloniales décident de conserver ce mode de propriété sur l’ensemble du territoire déjà cédé en seigneuries[107]. D’un point de vue juridique, notamment en ce qui a trait aux droits et devoirs, « le régime seigneurial demeure essentiellement la même institution […] avec une nomenclature assez semblable[108] ». Toutefois, les décennies qui suivent la Conquête attestent que de nombreux changements se sont produits au sein du régime seigneurial. Les rapports sociaux et économiques se sont largement transformés. L’historiographie, comme ce fût le cas pour la période du régime français, rend compte de plusieurs interprétations, certaines complémentaires et d’autres contradictoires.

Les débats sur la Conquête ont été nombreux entre les décennies 1950 et 1980[109]. Le régime seigneurial n’a pas été épargné des interprétations historiques qui en sont d’écoulées. À une époque marquée par des changements politiques, économiques, juridiques, culturels et un renouveau de l’identité nationale canadienne-française, dorénavant québécoise[110], un groupe de trois historiens néo-nationalistes a marqué l’historiographie sur la question seigneuriale post-Conquête. Michel Brunet, Guy Frégault et Maurice Séguin brossent d’abord un portrait positif du régime seigneurial. La position de ce triumvirat est explicite dans les études de Séguin. La seigneurie aurait « amorti la catastrophe de la Conquête[111] » et elle aurait joué le rôle d’un « efficace préservatif » contre l’accaparement des terres vacantes par les spéculateurs britanniques[112]. L’institution serait un chef d’œuvre administratif, parfaitement adapté à des paysans sans capitaux, « prophétiquement » conçu pour éloigner les étrangers et conserver aux Canadiens, pendant plus de soixante ans après la Conquête, la possibilité d’obtenir des terres à un prix que les autorités françaises avaient déterminé à l’avance. Pour Séguin, la période post-Conquête serait marquée par un « repliement agricole » des Canadiens, à l’image d’un entre-soi ancrée dans la ruralité, à l’intérieur des cadres du régime seigneurial qui aurait reporté à 1820 une disette de terre que ceux-ci auraient pu ressentir dès 1760[113].

Durant les mêmes années, à l’inverse des historiens néo-nationalistes, Fernand Ouellet et Jean Hamelin font partie des premiers à mettre l’accent sur les effets négatifs du régime seigneurial dans le développement économique de la société québécoise post-Conquête. Ils critiquent ce modèle qui serait en grande partie responsable du maintien d’une société d’Ancien régime « archaïque[114] ». Le « progrès économique » du Québec préindustriel serait venu avec l’arrivée des marchands britanniques et leur esprit d’entreprise. Cette introduction d’une rationalité capitaliste, qui s’insère graduellement dans la gestion de la propriété seigneuriale[115], occasionnera de nombreux changements socioéconomiques. Si plusieurs nuances ont été mises de l’avant dans l’historiographie depuis, les courants qui suivent iront davantage dans le sens des études de Ouellet que de celles des néo-nationalistes. Après la Conquête, avec l’arrivée du capitalisme commerciale, des idées libérales, démocratiques, républicaines et éventuellement l’industrialisation, le régime seigneurial, qui est un symbole de la société d’ordre d’Ancien régime, devient de plus en plus anachronique. 

Si les conflits entre seigneurs et censitaires étaient bien présents sous le régime français, la situation s’est aggravée sous le régime anglais. La contribution historiographique de Christian Dessureault est sans doute l’une des plus importantes sur cette question. Ses études rendent exhaustivement compte de l’évolution du régime seigneurial durant la période de 1760 à 1854. Il insiste sur le « durcissement[116] » qu’a connu l’institution au cours de ces années. Un durcissement qui s’observe sous quatre caractéristiques. Il y a un accroissement de la valeur des rentes annuelles dans les nouveaux secteurs de peuplement.  Les charges inscrites dans les contrats de concessions, tels que l’appropriation des ressources comme la pêche et le bois de charpente par les seigneurs, s’alourdissent et se multiplient.  Les droits et privilèges seigneuriaux s’appliquent plus rigidement et la spéculation sur les terres neuves devient une pratique récurrente[117]. Selon Dessureault, ces changements, qui ont des répercussions évidentes dans les rapports sociaux entre les acteurs seigneuriaux, seraient intrinsèquement liés aux notions de transition et d’articulation des modes de production économique. La transition du féodalisme au capitalisme serait « l’armature principale des relectures de l’évolution du régime seigneurial canadien[118] ».

Alors que certains dénoncent les interprétations historiques qui associent les entreprises seigneuriales au capitalisme avant 1840, comme c’est le cas pour Gérald Bernier et Daniel Salée[119], la communauté historienne semble néanmoins s’entendre sur l’émergence du capitalisme et le changement des rapports sociaux et économiques dans la vallée du Saint-Laurent au tournant du XIXe siècle. Cela a été démontré à maintes reprises, il y avait dans la société québécoise deux conditions préalables à l’essor du capitalisme : « un bassin de main-d’œuvre par l’expropriation massive des paysans et une accumulation primitive du capital grâce à l’accroissement des revenus seigneuriaux[120] ». L’étude de Serge Courville sur l’essor des villages dans les seigneuries du Bas-Canada au XIXe siècle est l’exemple le plus représentatif qui atteste de ces constats. Il démontre qu’il y a une « véritable explosion[121] » villageoise entre les années 1815-1851. Dans cette « brève mais intense transition[122] », les initiatives seigneuriales sont nombreuses[123], le paysage laurentien « est complètement transformé[124] », la poussée démographique est sans précédente, les échanges marchands et la montée des industries rurales s’accélèrent, les terres manquent et cette réalité contribue au phénomène de la « libération de la main-d’œuvre[125] » qui peut désormais travailler au développement des villages et de la société. Ainsi, les conditions socioéconomiques à l’intérieur des structures du régime seigneurial, comme dans la société, changent très rapidement après le changement d’Empire.

Éventuellement, ces conditions changeantes qui ont caractérisé « cette entreprise de type féodal[126] », alimenté par les efforts constants de ses détracteurs, ont mené à son abolition. Le 18 décembre 1854, après plusieurs décennies de débats parlementaires, l’Acte pour l’abolition des droits et devoirs féodaux dans le Bas-Canada est adopté. Si, comme l’a démontré Benoît Grenier dans un champ historiographique nouveau, plusieurs persistances seigneuriales s’observent dans le siècle qui suit son abolition[127], l’institution telle qu’instaurée au début du XVIIe siècle par les autorités coloniales françaises n’existe plus juridiquement. Son abolition est un symbole fort qui marque la fin de l’ère préindustrielle et, par le fait même, d’une structure sociale héritée de la France d’Ancien régime.

CONCLUSION

Le colonialisme est au cœur des rapports sociaux et économiques du Québec préindustriel. Si la société s’est bel et bien bâtie sur les structures sociales de la France d’Ancien régime, le contexte nord-américain a nécessité de nombreuses adaptations. L’historiographie a rendu compte de ces ajustements. Alors que les rapports sociaux et économiques au XVIIe siècle en Europe s’articulaient autour d’une société d’ordre rigide et sur un mode de production économique féodal, la situation était différente dans la vallée du Saint-Laurent. Durant tout le siècle, les Premières Nations occupent un rôle de premier plan économiquement, dans le commerce des pelleteries notamment, mais également socialement – alliances, établissements, guerres –. Elles offrent un contrepoids considérable au pouvoir colonial, lequel deviendra hégémonique après les effets dévastateurs des épidémies et des guerres sur les populations autochtones. Une fois le rapport de force à l’avantage des colonisateurs, la mise en place d’une société agricole préindustrielle basée sur le modèle de la France d’Ancien se concrétise dans la vallée du Saint-Laurent. De nombreuses institutions et structures sont garantes de l’ordre social : l’Église catholique, le droit coutumier, la famille patriarcale ainsi que le régime seigneurial. Les deux derniers éléments sont centraux pour comprendre les rapports sociaux et économiques du Québec préindustriel. La famille est l’institution de base autour de laquelle se produit le processus de colonisation. La reproduction sociale a lieu à l’intérieur de ses cadres et elle est l’élément central dans l’identité des individus. Elle est « l’épine dorsale » de cette société. Quant à l’institution seigneuriale, elle représente un microcosme de la société québécoise préindustrielle. Observé son évolution, s’est comprendre celle de la société coloniale. À l’intérieur de ses cadres, nous retrouvons des rapports sociaux inégalitaires basés sur des privilèges, des rapports économiques qui reflètent le mode de production féodal et, après le changement de régime, capitaliste. De sa mise en place à son abolition, son histoire reflète efficacement celle de la période préindustrielle. 


[1] John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Québec, Septentrion, 2009, p. 49. 

[2] Expression faisant référence à Christophe Colomb (Amérique), Jean Cabot (Terre-Neuve) et Jacques Cartier (Golfe du Saint-Laurent) notamment; Serge Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, Québec, PUL, 2000, p. 53-54.

[3] Laurier Turgeon a démontré que les contacts entre les pêcheurs européens, financés par des marchands-avitailleurs et non par l’État, et les Autochtones durant le XVIe siècle étaient non seulement très fréquents, mais qu’ils avaient déjà transformé les sociétés françaises et amérindiennes du début du XVIIe siècle; Laurier Turgeon, Une histoire de la Nouvelle-FranceFrançais et Amérindiens au XVIe siècle, Paris, Belin, 2019, 286 p.

[4] Jacques Cartier, représentant de la monarchie française, symbolise les premiers efforts des autorités pour se donner une base stable dans l’exploitation commerciale de la morue et des pelleteries. Samuel de Champlain, acteur ayant établit les alliances franco-amérindiennes en 1603, représente quant à lui l’aboutissement de ce projet colonial d’exploitation des ressources – colonie comptoir – et de peuplement – fondation de la ville de Québec en 1608 –; Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, p. 54-61. 

[5] Turgeon, Une histoire de la Nouvelle-FranceFrançais et Amérindiens au XVIe siècle, p. 91. 

[6] Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Le Jour, 1992 [1982], p. 88-89.

[7] Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, p. 10. 

[8] Brian Gettler, « Les autochtones et l’histoire du Québec. Au-delà du négationnisme et du “nationalisme-conservateur” », Recherche amérindienne au Québec, vol. 46, n° 1, 2016, p. 7-18. 

[9] Roland Tremblay, « La présence autochtone dans le Québec méridional avant l’arrivée des Européens », dans Alain Beaulieu et al., Les autochtones et le Québec, Montréal, Presses du l’Université de Montréal, 2013, p. 37. 

[10] Samuel de Champlain a établi les alliances franco-amérindiennes en 1603 et il avait le consentement des Innus pour fonder la ville de Québec.; Peter Cook, « Les premiers contacts vue à travers les sources documentaires européennes », dans Beaulieu et al., Les autochtones et le Québec, p. 66. 

[11] « Les Amérindiens ont utilisé les Français pour servir leurs propres intérêts : ils n’ont jamais complètement intégré la logique coloniale française ». Maxime Gohier, Onontio le médiateur. La gestion des conflits amérindiens en Nouvelle-France 1603-1717, Québec, Septentrion, 2008, p. 80; Voir également Jonathan Lainey, « Les colliers de wampum comme support mémoriel : le cas du Two-Dog Wampum », dans Beaulieu et al., Les autochtones et le Québec, p. 96-105.

[12] Cook, « Les premiers contacts vue à travers les sources documentaires européennes », p. 57. 

[13] Tout au long du XVIIe siècle, comme l’a démontré Louise Dechêne pour l’île de Montréal, il existait une grande proximité ainsi que de nombreuses interactions culturelles et commerciales entre les Premières Nations et les Européens; Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Paris, Plon, 1974, p. 33.

[14] Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, p. 19. 

[15] Plus d’un demi-siècle après la fondation de Québec, la colonie compte un peu moins de 4 000 habitants; Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, p. 107. 

[16] Alan Greer, dans son étude sur la vallée du Richelieu, démontre que la première vraie présence militaire en Nouvelle-France concorde avec celle de l’arrivée des « soldats-colons » du Régiment Carignan-Salière en 1665; Allan Greer, Habitants, marchands et seigneurs : La société rurale du Bas-Richelieu 1740-1840, Sillery, Septentrion, 2000 [1985], p. 24. 

[17] « Pacifier les Amérindiens représentait donc un excellent moyen pour les Français d’augmenter le nombre de leurs partenaires commerciaux »; Gohier, Onontio le médiateur. La gestion des conflits amérindiens en Nouvelle-France 1603-1717, p. 65.; Voir également Maxime Gohier, « Les politiques coloniales françaises et anglaises à l’égard des autochtones », dans Alain Beaulieu et al., Les autochtones et le Québec, p. 117-118.

[18] Ibid.

[19] La disparition des intermédiaires autochtones suscite, dans le domaine économique, de nouvelles possibilités pour les Européens dans le domaine la traite de fourrures et de l’agriculture; Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, p. 49.

[20] Quelques exemples : le gouverneur a agi comme médiateur – Onontio –, la diplomatie, les offrandes et les cérémonies étaient fréquentes, ils ont fait la guerre contre les Cinq nations Iroquoises aux côtés des Algonquiens et ils ont déployés des missionnaires en territoire autochtone.; Beaulieu et al., Les autochtones et le Québec, 403 p. 

[21] Jean-François Lozier, Flesh Reborn. The Saint Lawrence Valley Mission Settlements through the Seventeenth Century, Montréal, MQUP, 2018, p. 136.

[22] Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, p. 64. 

[23] Ibid.

[24] Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, p. 20.

[25] Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, p. 64-68. 

[26] Greer, Habitants, marchands et seigneurs : La société rurale du Bas-Richelieu 1740-1840, p. 24.; Leslie Choquette, De Français à paysans. Modernité et tradition dans le peuplement du Canada français, Québec et Paris, Septentrion et Presses de l’Université́ Paris-Sorbonne, 2001, p. 236. 

[27] Gohier, « Les politiques coloniales françaises et anglaises à l’égard des autochtones », p. 124. 

[28] Ibid., p. 130.

[29] Ibid., p. 128. 

[30] Alain Beaulieu, « La création des réserves indiennes au Québec », dans Beaulieu et al., Les autochtones et le Québec, p. 18. 

[31] Daniel Rück, The Laws and the Land. The Settler Colonial Invasion of Kahnawà:ke in Nineteenth Century Canada, Vancouver, UBC University Press, 2021, 336 p. 

[32] Cole Harris, Le pays revêche. Société, espace et environnement au Canada avant la confédération, Québec, presses de l’Université Laval, coll. « Géographie historique », p. 12-14. 

[33] Fernand Braudel, « Histoire et sciences sociales : La longue durée », Réseaux, vol. 5, n° 27, 1987, p. 15. 

[34] Les exemples les plus notoires : découverte par Jacques Cartier en 1534, fondation de Québec par Champlain en 1608, échec du peuplement sous la Compagnie des Cent-Associés entre 1627 et 1663, gouvernement royal de Louis XIV et Colbert dès 1663, Montcalm et la Conquête du Canada par les Britanniques en 1760, Acte constitutionnel de 1791, Louis Joseph Papineau et les soulèvements des Patriotes de 1837 et 1838 ainsi que l’Acte d’Union de 1840. Selon l’historien britannique Eric Hobsbawn, cette construction d’un récit national par l’histoire politique correspond à la deuxième phase, celle du processus militant, de la mise en place d’une identité et d’une conscience nationale; Eric Hobsbawn, Nations and Nationalism since 1780. Program, Myth, Reality, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 [1992], 206 p.

[35] Braudel, « Histoire et sciences sociales : La longue durée », p. 15. 

[36] Les sujets d’études se sont ainsi multipliés : les groupes sociaux, les élites, les modes de production économique, les rapports de pouvoir entre les classes, les « races » et le genre, la vie matérielle et familiale de la population, etc. 

[37] Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, p. 49. 

[38] « De moins de 4 000 habitants seulement en 1667, l’effectif passe à plus de 10 500 en 20 ans. Par la suite, la progression s’accélère en paliers : près de 26 000 habitants en 1720, plus de 43 300 en 1739 et environ 70 000 au lendemain de la Conquête » ; Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, p. 107.

[39] Greer, Habitants, marchands et seigneursLa société rurale du Bas-Richelieu 1760-1840, p. 13. 

[40] Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, p. 49. 

[41] Serge Gagnon, Mariage et famille au temps de Papineau, Québec, Presses de l’Université́ Laval, 1993, 300 p.

[42] Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, p. 95-96. 

[43] Maurice Séguin, La nation canadienne et l’agriculture (1760-1850), Trois-Rivières, Boréal Express, 1970 (édition de la thèse de 1947), p. 143.

[44] Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, p. 417. 

[45] Ibid., p. 271. 

[46] Fernand Ouellet, Le Bas-Canada 1791-1840. Changements structuraux et crise, Ottawa, Édition de l’Université d’Ottawa, 1980, p. 26. 

[47] Dickinson et Young, Brève histoire socio-économique du Québec, p. 49

[48] Ibid.

[49] Greer, Habitants, marchands et seigneursLa société rurale du Bas-Richelieu 1760-1840, p. 47.

[50] Colin M. Coates, Les transformations du paysage de la société au Québec sous le régime seigneurial, Sillery, Septentrion, 2003 [2000], p. 72. 

[51] Jean-Charles Fortin et Antonio Le Chasseur, dir.Histoire du Bas-Saint-Laurent, Québec, IQRC, 1993, p. 101. 

[52] Brian Young, Patrician Families and the Making of Quebec. The Taschereaus and McCords, Montréal et Kingston, McGill/Queens’ University Press, 2014, 472 p.

[53] Gérard Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, (1838-1971), Montréal, Boréal, 1996, p. 198. 

[54] Robert Sweeny, Why Did We Choose to Industrialize? Montreal, 1819-1849, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, 456 p. 

[55] Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, (1838-1971), p. 198.

[56] Coates, Les transformations du paysage de la société au Québec sous le régime seigneurial, p.79. 

[57] Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, (1838-1971), p.160. 

[58] Ibid., p. 196. 

[59] « Lorsqu’on entreprend d’expliquer l’économie paysanne et qu’on veut faire ressortir l’une de ses grandes caractéristiques, soit la volonté de se suffire en ce qui a trait à la nourriture, le vêtement, l’habitation, etc., on oublie souvent une nuance capitale. Mieux vaut parler de « tendance » à se suffire, d’économie « presque » fermée et se garder d’exagérer la suffisance, le repliement normal de l’économie paysanne »; Séguin, La nation canadienne et l’agriculture (1760-1850), p. 67.; « La richesse avait peu de chance de s’accumuler dans les mains de la paysannerie. Les charges féodales et les restrictions en matière de propriété terrienne pesaient certainement de tout leur poids contre une telle formation du capital, tout comme les exigences de reproduction sociale »; Greer, Habitants, marchands et seigneurs. La société rurale du Bas-Richelieu 1760-1840, p. 57. 

[60] Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, (1838-1971), p. 233-235. 

[61] Ibid.

[62] Christian Dessureault, Le monde rural québécois aux XVIIIe et XIXe siècles : cultures, hiérarchies, pouvoirs, Québec, Fides, 2018, p. 19. 

[63] Ibid., p. 116. 

[64] Ibid., p. 158. 

[65] Ibid., p. 163.

[66] Bouchard, Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, (1838-1971), p. 212. 

[67] Sylvie Dépatie, « La transmission du patrimoine au Canada (XVIIe – XVIIIe siècles) : qui sont les défavorisés », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 54, n°4, printemps 2001, p. 560.

[68] Josette Brun, Vie et mort du couple en Nouvelle-France : Québec et Louisbourg au XVIIIe siècle, Montréal, McGill/Queen’s University Press, 2006, p. 5. 

[69] Micheline Dumont, Découvrir la mémoire des femmes. Une historienne face à l’histoire des femmes, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2001, p. 21. 

[70] Le collectif compte Micheline Dumont, professeure émérite d’histoire à l’Université de Sherbrooke; Michèle Jean, qui était sous-ministre de l’Emploi et de l’Immigration au Canada lors de la première édition en 1982; Marie Lavigne, présidente du Conseil du statut de la femme du Québec ainsi que Jennifer Stoddart, directrice des Enquêtes à la commission des droits de la personne du Québec.

[71] Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Le Jour, 1992 (1982), p. 59. 

[72] Ibid., p. 30. 

[73] Par exemple, plusieurs fondations diverses sont établies durant ce siècle. Le couvent des Ursulines de Québec en 1639, œuvre de Marie Guyart (Marie de l’Incarnation); l’Hôtel-Dieu de Québec en 1639, dont le service est assuré par les Hospitalières de Dieppe sous la direction de Marie Guenet et de Marie Forestier; l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1643, œuvre de Jeanne Mance qui s’assurera, à partir de 1659, le service des Hospitalières de La Flèche; la congrégation des Filles séculières de Ville-Marie, fondée en 1669, qui est l’achèvement de l’œuvre de Marguerite Bourgeoys, arrivée à Montréal en 1653; Ibid., p. 47-48. 

[74] Ibid., p. 67-68. 

[75] France Parent et Geneviève Postolec, « Quand Thémis rencontre Clio : les femmes et le droit en Nouvelle-France», Les Cahiers de droit, vol. 36, n°1, 1995, p. 301.

[76] Ibid., p. 305. 

[77] Elles écrivent qu’elles « sont présentes toutes les quatre audiences et sont actives toutes les trois causes, représentant 39,8 % des femmes mentionnées aux registres ». Aussi, les femmes mariées, à l’instar des veuves, jouent un rôle important, alors qu’elles représentent plus du tiers du corpus; Parent et Postolec ajoutent que « cette participation sur la scène judiciaire se compare à celle des hommes évaluées à 52 % »; Ibid.

[78] Ibid., p. 317-318. 

[79] Ibid., p. 318.

[80] Ibid.

[81] Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, p. 88-89. 

[82] Josette Brun, Vie et mort du couple en Nouvelle-France : Québec et Louisbourg au XVIIIe siècle, p. 21.

[83] Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, p. 96. 

[84] Denyse Baillargeon, Repenser la nation. L’histoire du suffrage féminin au Québec, Montréal, Les éditions du Remue-Ménage, 2019, p. 25. 

[85] Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, p. 241. 

[86] Benoît Grenier, Brève histoire du régime seigneurial, Montréal, Boréal, 2012, p. 52. 

[87] François-Xavier Garneau, Histoire du Canada : depuis sa découverte jusqu’à nos jours, Québec, 1845, 558 p. 

[88] Il faut également souligner l’influence du littéraire canadien-français Philippe Aubert de Gaspé dans l’édification d’une vision qui s’arrime parfaitement à celle de l’historiographie traditionnelle du régime seigneurial. Son œuvre Les Anciens Canadiens, publiés en 1863, dans lequel est « dépeint une société quasi idyllique où les censitaires vivent sous la gouverne bienveillante du seigneur », a connu une large diffusion dans la société; Grenier, Brève histoire du régime seigneurial, p. 26. 

[89] Les traces de cette vision idyllique sont abondantes dans l’historiographie entre 1845 et 1970. George Wrong écrit que le seigneur « n’était pas un despote qui opprimait ses censitaires », mais « plutôt un gardien vigilant ».  William Bennet Munro considère les seigneurs canadiens comme des « mens with heart ». Benjamin Sulte écrit que « Richelieu, Louis XIV, Colbert et Talon, en nous imposant le système seigneurial, ont répandu des bienfaits immenses sur le Canada, car c’était le meilleur système de colonisation que l’on pût imaginer à cette époque ». Victor Morin évoque que « l’intérêt primordial des seigneurs canadiens et de leurs censitaires était de s’entraider ». Maurice Séguin y voit pour sa part « un système de colonisation agricole merveilleusement bien adapté à des paysans sans capitaux », et un chef-d’œuvre administratif « prophétiquement » conçu pour les Canadiens. Marcel Trudel, historien de renom en histoire du régime seigneurial, écrit en 1956 que la seigneurie était de « l’entraide sociale établie en système ». Ce ne sont pas les exemples qui manquent pour rendre compte de cette tendance historiographique qui fortement idéalisée les rapports sociaux entre les seigneurs et les censitaires au Canada.; George Wrong, Un manoir canadien et ses seigneurs 1761-1861 – cent ans d’histoire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005 (1907), p. 81.; William Munro, The seigneurs of Old Canada. A Chronicle of New World Feudalism, Toronto, Brook, 1914, p.14.; Benjamin Sulte, « Le régime seigneurial au pays du Québec, 1760-1854 », Mélanges historiques, Montréal, G. Ducharme, 1918, p. 84.; Victor Morin, Seigneurs et censitaires castes disparues, Montréal, Éditions des Dix, 1941, p. 23.; Maurice Séguin, La nation canadienne et l’agriculture (1760-1850), p. 183.; Maurice Séguin, « Le régime seigneurial au pays du Québec, 1760-1854 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 1, n° 3 (1947), p. 531.; Marcel Trudel, Le régime seigneurial, Ottawa, Société historique du Canada, 1956, p. 18.

[90] Grenier, Brève histoire du régime seigneurial, p. 22.

[91] Ibid.

[92] Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, p. 257. 

[93] Ibid.

[94] Ibid.

[95] Ibid., p. 250. 

[96] Ibid., p. 258. 

[97] Allan Greer, Habitants, marchands et seigneurs : La société rurale du Bas-Richelieu 1740-1840, p. 135; 184-185. 

[98] Ibid., p. 33.

[99] Ibid., p. 126. 

[100] Ibid., p. 184-185. 

[101] Sylvie Dépatie, Christian Dessureault et Mario Lalancette, Contributions à l’étude du régime seigneurial canadien, Montréal, Hurtubise, HMH, 1987, p. 4. 

[102] Thomas Wien, « Les conflits sociaux dans une seigneurie canadienne au XVIIIe siècle : Les moulins des Couillard », dans Gérard Bouchard et Joseph Roy, dir., Famille, économie et société rurale en contexte d’urbanisation (17e-20e – siècle), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1990. p. 225; Benoît Grenier, « Pouvoir et contre-pouvoir dans le monde rural laurentien aux XVIIIe et XIXe siècles : sonder les limites de l’arbitraire seigneurial », Bulletin d’histoire politique, vol. 18, n° 1, automne 2009, p. 143-163.

[103] Grenier, Brève histoire du régime seigneurial, p. 52. 

[104] Evelyne Kolish, Nationalismes et conflits de droits : le début du droit privé au Québec, 1760-1840, Montréal, Hurtubise HMH, 1994, p. 21. 

[105] Gérald Bernier et Daniel Salée, Entre l’ordre et la liberté. Colonialisme, pouvoir et transition vers le capitalisme dans le Québec du XIXe siècle, Montréal, Boréal, 1995, p. 19-20.

[106] La Grande-Bretagne, qui a fait sa Glorieuse Révolution en 1688, fonctionne sous « un système de pouvoir réparti entre le roi, l’aristocratie siégeant souvent de façon héréditaire à la Chambre des Lords et le peuple dont la voix se fait entendre à la Chambre des Communes par des représentants élus »; Yvan Lamonde, Brève histoire des idées au Québec 1763-1965, Montréal, Boréal, 2019, p. 11.

[107] Dessureault, Le monde rural québécois …, p. 136. 

[108] Ibid.

[109] Fernand Ouellet, « Les classes dominantes au Québec, 1760-1840. Bilan historiographique », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 38, n°2 (automne 1984), p. 225. 

[110] Gérard Bouchard, Les Nations savent-elles encore rêver? Les mythes nationaux à l’ère de la mondialisation, Montréal, Boréal, 2019, p. 279.

[111] Séguin, La nation canadienne et l’agriculture (1760-1850), p. 62. 

[112] Maurice Séguin, « Le régime seigneurial au pays du Québec, 1760-1854 », RHAF, vol. 1, n°3, 1947, p. 531. 

[113] Ibid.

[114] Fernand Ouellet, « La formation d’une société dans la vallée du Saint-Laurent : d’une société sans classe à une société de classe », Canadian Historial Review, vol. 62, n°4, décembre 1981, p. 448. 

[115] Fernand Ouellet, « Propriété seigneuriale et groupes sociaux dans la vallée du Saint- Laurent (1663-1840) », Revue d’histoire de l’Université d’Ottawa, vol. 47, n° 1, 1977, p. 202. 

[116] Dessureault, Le monde rural québécois aux XVIIIe et XIXe siècles : cultures, hiérarchies, pouvoirs, p. 137. 

[117] Ibid., p. 141. 

[118] Ibid., p. 147. 

[119] Bernier et Salée écrivent que « qualifier de capitalistes les entreprises seigneuriales revient à méconnaître la nature historique du féodalisme. Une telle erreur de perception est en grande partie imputable à l’idée fallacieuse selon laquelle la nature monétaire de la rente foncière seigneuriale, de même que l’absence de rente en travail et l’exercice du contrôle absolu de la terre par le seigneur atténuent considérablement la dimension féodale du régime seigneurial ». Toutefois, les démonstrations (presque exclusivement théoriques) que les auteurs font tendent, au contraire, à nous faire croire que ce sont eux qui méconnaissent les réalités seigneuriales du XIXe siècle. Le régime seigneurial, comme la féodalité, ne sont pas figée dans l’espace et dans les temps. La version européenne du XVIIe siècle n’est pas la même que la version canadienne du XIXe siècle. Les auteurs ne prennent pas cet aspect en considération. ; Bernier et Salée, Entre l’ordre et la liberté. Colonialisme, pouvoir et transition vers le capitalisme dans le Québec du XIXe siècle, p. 95.

[120] Dessureault, Le monde rural québécois aux XVIIIe et XIXe siècles …, p. 147.

[121] Serge Courville, Entre ville et campagne : l’essor du village dans les seigneuries du Bas-Canada, Québec, Presses de l’Université́ Laval, 1996, p. 13. 

[122] Ibid., p. 13.

[123] L’intervention des seigneurs dans l’aménagement du bourg se fait sentir de plusieurs manières : lotissement, concessions prévues d’emplacements, contrat type et récolte de rente; Ibid., p. 77.

[124] Ibid., p. 26. 

[125] Ibid., p. 38. 

[126] Dessureault, Le monde rural québécois aux XVIIIe et XIXe siècles …, p. 55. 

[127] Benoît Grenier, dir., Le régime seigneurial au Québec : Fragments d’histoire et de mémoire, Les éditions de l’Université de Sherbrooke, Sherbrooke, 2020, 209 p.

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